Nous partageons l’intuition depuis des années que la pédagogie doit permettre, créer du possible, de l’action individuelle et collective, la rencontre… Et pas de l’emprisonnement. (Stefan Bouquet et Sylvain Stienon)
Nous avons souhaité tous deux coordonner l’écriture d’un article sur la question des alternatives à la pédagogie par objectifs apprise traditionnellement dans les formations d’animateurs, et relayée dans les ACM.
Nous voyons par là tout le package méthodologique imposé aux animateurs, qui consiste à créer toute animation en emboîtant systématiquement objectifs généraux, opérationnels, démarche et moyens prévus en amont entre adultes, critères d’évaluation mesurables…
L’idée de cet article fut alors de rassembler des témoignages autour des 2 questions suivantes :
- D’après toi, la pédagogie par objectifs aujourd’hui répandue dans les ACM, peut-elle être porteuse de transformation sociale ?
- Si la méthodologie par objectifs n’est plus la base de travail de l’équipe, par quoi la remplaces-tu ?
Mais avant, plongeons-nous dans le sujet :
Cyril Dheilly : “L’ACM était fermé de l’intérieur”
Cyril Dheilly est doctorant en sciences de l’éducation au Laboratoire CIRNEF. Ses travaux actuels portent sur le rapport au risque des animateurs dans les ACM, à partir d’une méthodologie d’entretiens semi-directifs. Il est par ailleurs professeur d’Éducation Physique et Sportive et diplômé en psychologie, société et multicultures.
“Une victime : la Liberté. Y-a-t-il réellement un coupable dans cette sordide affaire aux allures de Cluedo ? Le suspect numéro un est présent dans les parages depuis un bon moment… Comment l’interroger ? Les premiers indices nous amènent en effet à voir que ce Monsieur Projet est bien infiltré dans le milieu des pratiques pédagogiques et il paraît aujourd’hui osé de le remettre en question. Et pourtant… Celui qui permet aux adultes de (se) projeter dans l’avenir aurait-il, dans le même temps, projeté la Liberté d’enfants en vacances, cette fois-ci contre un mur solide, construit avec grande maîtrise ?
Serait-ce un agent double ? Difficile de le coincer… Des témoignages attestent qu’il aurait permis de rendre des enfants souriants, « à fond dedans », reconnaissants… Il a par ailleurs pour sa défense d’épais dossiers, a priori inattaquables, sérieux, précis, et même bienveillants. Pour en savoir davantage, nous aimerions à présent tant faire parler la Liberté… Et c’est bien là qu’est l’os. Avons-nous maintenant les moyens de la faire parler ? N’aurait-elle pas pu s’exprimer d’elle-même au préalable, sans que nous nous sentions désormais contraints de parler à sa place ou en son nom ?
Au moment de la reconstitution, la brigade de gémellologie découvre l’existence de plusieurs Monsieur Projet, lesquels agissent à différents niveaux et dans diverses temporalités. Tout est passé au peigne fin : des stratégies adoptées pour obtenir les financements des Bœuf-carottes aux modes opératoires qui ont en point de mire l’évaluation des agents, à travers des objectifs préétablis. Dans cette histoire, les enfants ont-ils leur mot à dire ? Oui. Parfois juste celui de la fin, puisque les présumés complices ont développé l’art séduisant de parler « à la place de », d’annoncer « avant que », de donner « la priorité à ».
Les premières conclusions de l’enquête, avant un procès très attendu, portent à croire qu’il pourrait en fait s’agir d’une histoire passionnelle. En effet, alors que les témoins à charge s’indignent du mépris délibéré porté à la Liberté et qui aurait concouru à cette triste disparition, les témoins à décharge certifient des bonnes volontés de prévision, de prédiction, de prévention, de regard porté vers l’avenir de la part des suspects, présumés innocents. Selon ces derniers témoins, seuls des excès programmatifs, de peur du vide, ou encore d’éloignement des intérêts et des besoins des enfants pourraient avoir causé la disparition de celle que les accusés voulaient pourtant laisser vivre.”
D’après toi, la pédagogie par objectifs aujourd’hui répandue dans les ACM, peut-elle être porteuse de transformation sociale ?
Ludovic : “La méthodologie par objectifs est claire : elle vise la productivité, parfois la rentabilité”
Ludovic est le premier à nous avoir répondu. Amateur de cerf-volants et amoureux des montagnes, il navigue entre de nombreux métiers et engagements tous plus enrichissants les uns que les autres. Animateur (BAFA) depuis 2006 et directeur (BAFD) depuis 2009, il dirige ou anime chaque année un ou plusieurs séjours, et régulièrement des stages de formation BAFA ou BAFD. Au-delà des colos, il a été responsable enfance-jeunesse d’une petite commune de l’Isère (accueil de loisirs, accueil de jeunes, séjours, partenariats collège-commune…).
“La pédagogie par objectifs, ou plus globalement la méthodologie de projet, est un outil, une manière de travailler ou d’organiser son travail. Pour certains, cela va même jusqu’à être une manière d’organiser sa vie, sa carrière (tout chômeur accompagné par Pôle emploi est confronté un jour à la question de son « projet professionnel », ou même bien avant, durant les études), et même ses loisirs. Car même si l’on définit rarement des objectifs opérationnels, primaires, secondaires, à court et moyen-terme pour organiser ses vacances, nous connaissons tous des familles qui établissent leurs projets de vacances longtemps à l’avance, parfois plusieurs années.
Or un outil n’est jamais neutre, il influence de fait les situations vécues. La méthodologie par objectifs est claire : elle vise la productivité, parfois la rentabilité. Mais qu’est-ce qu’être rentable dans notre métier ? En quoi des enfants qui jouent devraient – ou même pourraient ! – être rentables ?
Donc oui, trois fois oui, la pédagogie par objectifs est porteuse de transformation sociale. La question que l’on peut se poser après ce constat, c’est « est-ce cela que nous voulons ? ». Et dans quel(s) sens cette pédagogie transforme-t-elle le vivre-ensemble ?
Les conséquences ne sont pas toutes mesurables, mais si l’on s’autorise à observer un peu les structures organisées autour d’une pédagogie par objectifs (souvent associée à une pédagogie « du contrat » dans le monde scolaire, le monde de l’éducation spécialisée ou parfois aussi dans le monde des colos, lorsque les enfants qui n’arrivent pas à atteindre les objectifs définis – et définis par qui ? – font tourner les adultes en bourrique), on peut être surpris. D’ailleurs, nous devrions tous prendre ce temps de l’observation, de nos structures, de celles des collègues. On comprendrait alors bien mieux l’importance des choix et surtout des attitudes pédagogiques que nous portons.
En tout état de cause, j’observe que certains êtres humains (dont les enfants) fonctionnent naturellement par objectifs, d’autres pas du tout. Avoir des objectifs rassure certains enfants dans leur progression, ou dans leur découverte d’un groupe, d’une activité. Pour d’autres, c’est l’angoisse car leur manière de « palper le monde » est plus spontanée, imprévisible, à tâtons.
Au final, la pédagogie par objectifs transforme la société, car notre manière de travailler nous transforme nous-même, en premier lieu ! Et qui fait la société ? C’est bien nous…
Là aussi on peut se poser la question : nous tous animateurs et animatrices, devons-nous nécessairement nous obliger à travailler d’une manière commune, « harmonisée » ? Pouvons-nous laisser la place à l’expérience au sein même de notre travail ? Personnellement, je crois que la pédagogie par objectif peut être d’une violence extrême lorsqu’elle est appliquée sans discernement, sans questionnements, de manière unilatérale et obligatoire. Bref, quand on en fait une recette de cuisine… à suivre absolument !”
Jean-Michel Bocquet : “Comment changer le monde avec des outils de gestion ?”
Jean-Michel Bocquet, pédagogue, est le second à nous avoir fait l’honneur de répondre à notre invitation. Il est actuellement directeur au MRJC et doctorant en sciences de l’éducation. Ce qui guide ses choix et ses engagements, c’est la possibilité de penser, de construire des savoirs et de faire, tout ça en même temps…
“La question posée est double : il y a la question de la transformation sociale mais aussi le fait que cette pédagogie par objectifs soit répandue. Il me semble important de répondre d’abord à ce point : cette pédagogie est-elle répandue et si oui pourquoi.
La pédagogie par objectifs n’est pas répandue dans le champ des ACM, elle est ultra-majoritaire. Elle est même la seule enseignée ou transmise dans les formations BAFA/D, via la méthodologie de projet. Il n’y a pas de formation à l’animation qui n’insiste pas lourdement sur l’intérêt/ l’obligation de prévoir des objectifs, évidemment, éducatifs pour toute activité menée par un animateur dans un ACM. Être capable de définir des objectifs pour un foot, un atelier pâte à sel ou une danse est devenu la compétence indispensable de l’animateur en formation. Maîtriser la méthodologie de projet, allant du diagnostic à l’évaluation, est devenu en même temps la manière de trier les bons et les mauvais animateurs, mais aussi la hantise de tout animateur se présentant devant un formateur ou un directeur.
Rappelons quelques éléments historiques intéressants. D’abord la notion de projet et donc d’objectifs n’apparaît que dans les années 70 pour un développement massif dans les années 80 (cf A qui et à quoi sert la notion de projet ? de J.M Bataille). C’est l’arrêté du 20 mars 1984 qui date l’apparition et l’obligation de faire des projets éducatifs et pédagogiques dans les centres de loisirs. Ce point est particulièrement intéressant puisqu’il permet de rappeler que les colos et les centres aérés fonctionnaient sans projet avant cette date.
Autre élément historique à rappeler, c’est l’apparition du modèle colonial dans les années 50, modèle pédagogique qui se base sur les besoins, l’activité, le choix et la centralisation sur l’adulte (pour l’organisation, le cadre, les sanctions, etc.). Si le modèle colonial est sans doute plus ouvert que le modèle de l’école, il reste une forme de la pédagogie traditionnelle comme l’a défini J. Houssaye (source). Cette pédagogie traditionnelle n’aura de cesse que de s’adapter aux évolutions sociétales libérales, la pédagogie par objectifs s’inscrit dans la continuité de cette histoire. La pédagogie par objectifs renforce même l’un de ces points : le savoir spéculatif et normatif sur l’enfant.
Que disent donc ces points (rapides) historiques et le fait qu’elle soit ultra-dominante ? Est-ce que la pédagogie par objectifs peut transformer le monde ?
La pédagogie par objectifs est l’un des avatars de l’évolution (néo-)libérale de nos sociétés. Elle s’inscrit, non pas en rupture avec cette évolution, elle la continue. La méthodologie de projet et la pédagogie par objectifs permettent de former depuis le plus bas-âge les enfants à l’idée que tout se régit à coup d’objectifs et de moyens, qu’il est possible de tout prévoir à l’avance et surtout de tout budgétiser. Ces deux outils ont été développés dans les courants de pensée de Taylor et Ford, ils sont des outils de gestion… Comment alors changer le monde avec des outils de gestion ? C’est impossible. Pour transformer nos sociétés, il est nécessaire de changer de paradigme, changer de manière de voir le monde et donc de le travailler. Personne, ne transformera notre société avec un projet ou un objectif, s’il utilise ces outils, il amplifie la libéralisation du monde, il amplifie la marchandisation, la monétisation et les intérêts personnels.
Il est intéressant de voir et de lire comment la sélection des cadres de l’animation se fait grâce et avec la méthodologie de projet. Savoir faire un projet pour avoir un financement devient la compétence absolue à avoir pour être directeur. On demande à un directeur d’ACM de savoir faire un projet, pas de savoir rencontrer un enfant, pas de savoir travailler avec des parents, pas de savoir construire du lien et de la démocratie. C’est le travail technocratique qui permet la sélection. Plus il y a de techno, plus le monde est libéral… (cf les travaux de Béatrice Hibou)
Donc à la question, la pédagogie par objectif est-elle porteuse de transformation sociale ? la réponse est oui, si on entend que la libéralisation complète du monde est une transformation sociale. La réponse est non, si on pense comme moi, que la libéralisation n’est pas une transformation positive mais une régression totale…”
Laurent Ott : “La pédagogie par subjectivité”
Laurent Ott, Philosophe social, directeur d’Intermèdes-Robinson, auteur de “Pédagogie sociale” et “Philosophie sociale” (Chronique sociale) nous a fait le plaisir de contribuer lui aussi :
“Nous connaissons tous la Pédagogie par objectifs et comment, malgré son côté archaïque , elle reste plus ou moins le seul modèle simpliste enseigné concrètement tant dans les formations pour éducateurs qu’auprès des enseignants dans les ESPE et ex IUFM.
Curieux que cette « pédagogie » qui n’en est pas une (elle n’est au mieux qu’une méthodologie) réunisse dans sa schématisation, le peu de savoir faire, en propre de métiers aussi opposés que celui d’animateur et enseignant.
C’est que la Pédagogie par objectifs n’a que faire de contenus; elle n’ a que peu d’intérêt pour ce dont il est question derrière la formation, l’enseignement, la séquence d’animation. Elle épuise son intérêt, son champ de vision, à ce qui lui donne son nom: l’objectif.
Il y a quelque chose de martial et de militaire, dans ce mot, « objectif », mais il y a aussi toute l’illusion de pouvoir agir sur une réalité multiple et complexe en l’émiettant en petits bouts et en concentrant son action sur des confettis. Il y a aussi toute cette illusion, cette prétention d’enfin pouvoir atteindre une « objectivité » indiscutable, dans son métier, dans ses résultats.
Seulement voilà, ce que la Philosophie nous apprend c’est que la réalité est tout sauf objective. Il faut un sujet pour la vivre et la penser. Et l’objectivité n’est en rien une garantie ou une précaution pour un peu plus de réalisme; au contraire, celui qui poursuit des objectifs, met ses idéaux en avant, et participe souvent d’une action conduite davantage par un idéal que par la réalité des rencontres et des hasards.
Vouloir travailler par objectifs, c’est vouloir d’abord se retirer du monde, en souhaitant par la même enfin agir dessus. Celui qui travaille par objectifs met en avant ses intentions sur les choses et sur les gens, mais perd souvent, par la même, toute capacité d’attention aux choses et aux gens.
La pédagogie sociale tranche en cela qu’elle préconise peu d’intentions, et beaucoup d’attention et renverse ainsi son rapport au monde, à la réalité, à autrui et à l’événement.
Celui qui conduit son action par objectifs, se condamne au malheur ; il se condamne à mesurer sans arrêt l’écart ou la béance entre ses intentions et la réalité de ce qui arrive. Comment d’ailleurs pourrait-il avoir prise sur la matière complexe du Monde? Comment peut-on sérieusement imaginer pouvoir mettre en œuvre sérieusement des objectifs tels que: « le vivre ensemble », « rendre l’autre, auteur de ses actions (ou ses apprentissages), ou « agir contre la haine, le racisme, ou la violence » ?
Pour que ça marche, pour « avaler » la pilule et valider cette manière de travailler « par objectifs », et pour le supporter , il n’y a que trois voies possibles empruntées malheureusement par tant de professionnels :
- D’une part, il faut se couper de la réalité des autres; savoir le moins possible sur eux; ignorer ce qu’ils pensent, ce qui les motive et ce qui les a construits.
- D’autre part, il faut travailler sur des temps minuscules, mesurer son impact sur des micro-séquences et se désintéresser absolument du temps, de la vie et du long terme.
Recréer un petit milieu, un petit microcosme , que l’on cherche à tout prix à contrôler et préserver du monde extérieur, et tourner le dos à tout le reste, à l’environnement, au monde, à la politique et à la vie elle-même.
La Pédagogie sociale est une pédagogie qui , tout à l’inverse , pourrait être définie comme « pédagogie par subjectivité ». On y encourage le pédagogue à développer sa sensibilité, son empathie, son engagement affectif. On l’encourage à baser son action sur tout ce qui n’était pas prévu, sur ce qui arrive, survient , surprend. On encourage l’acteur impliqué à prendre de la distance avec ses propres intentions, ses propres préoccupations pour découvrir celles qu’il a en face de lui chez l’autre.
On décourage ce même pédagogue à recourir à toute abstraction, généralité et distance. Si ce qu’il a à dire n’a rien à dire à l’enfant en face de lui, c’est que cela ne vaut rien ; et il faut abandonner sa première idée avec joie. Il faut même se méfier de toute cette mode qui consiste à mettre en avant de beaux idéaux, des valeurs, ou même des principes éthiques.
La motivation, même professionnelle, en général, est nulle si elle n’est même pas capable de faire naître un peu de curiosité sur le monde de cet autre précis que je rencontre. L’engagement lui même, le militantisme ne valent rien s’ils ne sont pas capables de se muer en simple intérêt pour une seule personne à qui je m’adresse.
Sortir de l’abstraction, sortir de l’objectivité , sortir de l’idéal ; il faut apprendre aux travailleurs sociaux, aux acteurs d’aujourd’hui et de demain à renoncer à toute utopie, à tout idéalisme. Tout ce qui nous amène à refuser d’accepter cette réalité pleine et entière comme elle est, à la regarder en face, doit être abandonné.
Mais cette pure acceptation de la réalité n’aurait aucun sens si elle n’avait pas comme projet derrière de la transformer, d’y mettre les mains, toute sa tête et tous ses sens pour la modifier, la rendre plus vivable, plus habitable et plus humaine.
Elle est là, au fond, véritable condamnation de la pédagogie idéaliste (dont la pédagogie par objectifs est le bras armé) ; elle n’est pas seulement impuissante ; elle conduit à accepter les pires violences et les pires injustices, et à nous apprendre à regarder ailleurs, à nous bâtir notre petite bulle, faute de nous donner une voie, une occasion de prendre part à la transformation de la réalité sociale.”
Alexi Uyttersprot : “Dans cette pédagogie par objectifs, tout est fait pour aller chercher de la rentabilité et de l’évaluation”
Alexi Uyttersprot a 33 ans, il est directeur du pôle jeunesse de la ville de Senlis (Oise) depuis 2012. Animateur BAFA depuis 2004, il est diplômé BPJEPS en 2011.
“Lors de ma formation BPJEPS j’ai appris cette fameuse méthodologie par objectifs :
Etablir un diagnostic -> Identifier une problématique -> Définir une finalité -> Formaliser un but -> Etablir des objectifs généraux permettant d’atteindre ce but -> Etablir des objectifs opérationnels (précis et mesurables) correspondants à ces objectifs généraux.
C’est la méthodologie standard enseignée dans les formations professionnelles en France, et parfois même en formation BAFA.
Il m’a fallu six mois de pratique post-BPJEPS et une formidable rencontre pour m’en détacher. La formidable rencontre, c’était avec un pédagogue de l’ancienne école, qui a côtoyé Franck Lepage, et qui m’a fait prendre conscience que cette pédagogie par objectifs est une déclinaison directe des méthodologies d’entreprises.
Dans cette pédagogie par objectifs, tout est fait pour aller chercher de la rentabilité et de l’évaluation. On fixe des objectifs éducatifs comme on fixerait des objectifs de vente dans le secteur commercial.
Les intentions sont souvent louables. On souhaite que les enfants acquièrent telle ou telle compétence, puisse gagner en autonomie, deviennent des adultes accomplis…
Pourtant, je n’arrive plus à m’y retrouver. Cela me fait penser à l’éducation nationale, avec ses évaluations annuelles, pour voir si les enfants ont bien intégrés les savoirs escomptés.
J’ai donc choisi de m’orienter d’avantage vers une pédagogie de la liberté, qui permet à chaque enfant de choisir lui-même sa place et ses attentes.”
Si la méthodologie par objectifs n’est plus la base de travail de l’équipe, par quoi la remplaces-tu ?
Ludovic : “Personnellement, ma manière de travailler ne suit aucune méthodologie” :
“Personnellement, ma manière de travailler ne suit aucune méthodologie (ça ne veut pas dire « désorganisé » pour autant).
Elle commence par une rencontre. Ou plutôt des rencontres ! D’abord avec les animatrices, les animateurs, les personnels de service… mes collègues. Nous prenons tout d’abord un temps, suffisamment long, pour nous connaître.
A travers des débats, des jeux, des discussions sur tout et n’importe quoi, nous apprenons de l’autre, nous transmettons aussi un peu de qui nous sommes. Alchimie, c’est le maître mot. De même lorsque les enfants et les parents entrent dans la danse, cette alchimie va se créer à son rythme. Et elle prendra des formes très différentes en fonction des personnes (anims, parents, enfants).
Certaines relations sembleront très « froides » vues de l’extérieur, d’autres nous paraîtront beaucoup plus conviviales, voire affectueuses. Certains se mettront peut-être des objectifs (« tiens, pendant la colo je veux absolument apprendre à jongler ! Tu veux bien m’apprendre ? »), et beaucoup n’en formuleront pas. Certains enseigneront des choses passionnantes aux autres (enfants et adultes), d’autres ne feront que jouer, dormir, se chamailler et se greffer à des activités déjà organisées… D’autres, enfin, prendront les devant et voleront littéralement le boulot des anims !!
Il y a bien évidemment des choses à organiser : les présences auprès des enfants (planning de congés), les repas, le ménage, les sorties, le couchage… Mais je pars du principe qu’on pose un premier fonctionnement (dont certaines choses que je décide seul, à l’avance), et que celui-ci peut être modifié dès que quelqu’un le souhaite et qu’une proposition est faite.
Pour ma part, j’exprime des attentes auprès de mon équipe, certaines étant contraignantes : la sécurité, l’attention aux personnes, les questionnements réguliers.”
Jean-Michel : “Pour remplacer cette pédagogie par objectifs, il faut faire de la pédagogie…”
“Pour remplacer cette pédagogie par objectifs, il faut faire de la pédagogie… C’est à dire qu’il faut chercher les moyens et les théories cohérentes avec les valeurs que l’on porte.
Rien ne sert d’inventer l’eau chaude… Avant les années 70, les équipes travaillaient sans la pédagogie par objectif, il est donc possible de faire autrement.
Je raconte dans « Qu’est ce que les pédagogies de la décision » comment « entrer en pédagogie est âpre »… Il est difficile de s’imaginer faire autrement alors que l’ensemble de nos formations d’animateur vont dans un seul et même sens, celui du projet et des objectifs. Pourtant, en cherchant, en se questionnant et en essayant de répondre à ces questions en faisant, des pédagogies s’inventent et se construisent. C’est comme cela que Freinet, Montessori, Oury ou Deligny ont inventé leur manière de faire.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux à essayer et à chercher, nous sommes nombreux à faire, hors des clous, du prêt à digérer pédagogique, des formations, nous sommes nombreux à tenter de faire autrement…
Pour moi, deux notions sont aujourd’hui fondamentales pour faire autrement :
– Le Care ;
– La décision par les personnes concernées ;
Reprenons rapidement ces deux points. Le care peut se traduire par soin ou sollicitude. Le terme soin me plait bien dans le sens de prendre soin de… Pour aller plus loin sur cette notion, il faut se tourner vers les travaux de J. Tronto ou le texte d’Y. Raibaud sur les colos. Pour moi, prendre soin de l’autre prend tout son sens dans une colo, lieu de loisir, de vacance et de repos. Cela signifie que de la place que j’occupe je fais attention à chacun, à chaque enfant, à chaque personne (animateur, directeur, etc.). L’organisation est pensée pour que chacun puisse être entendu, que chacun puisse être pris en compte dans sa singularité. Le care, c’est mettre de la rencontre, de l’égalité, là où le projet, l’objectif met de la pensée sur l’autre, de la théorie planquée ou de la supériorité. Le care, c’est sortir du « c’est pour ton bien » (en référence à C’est pour ton bien d’Alice Miller) et du travail pour les enfants pour aller vers le travail avec les enfants et les pédagogies de la décision. C’est-à-dire mon deuxième point : La décision par les personnes concernées.
Cette décision se construit avec les personnes concernées, dans un co-travail articulé autour d’une instance de décision collective et d’une mise au travail des conflits vécus. La décision s’inscrit toujours dans le cadre d’une situation vécue et jamais dans un absolu qui serait « bon » pour l’autre. Dans une situation, chacun à sa place, son avis, son expression, chacun est légitime pour s’exprimer et agir. Moi, l’adulte, l’animateur, je cherche ce qui fait problème puis comment résoudre le problème avec les enfants concernés. A l’échelle de nos sociétés, une telle manière de faire ancrerait chaque décision dans un travail avec les personnes concernées, proposerait des processus et non des finalités obligatoires, normatives et identiques.
Puisqu’il n’y a plus d’objectifs à atteindre, il y a des valeurs à défendre, à affirmer et surtout à construire. Pour guider l’action, ma valeur est l’égalité, mes guides sont les deux concepts le care et la décision, ils sont guides théoriques mais aussi façons de faire. On apprend aux animateurs, comme un pragmatisme évident, que le sens se trouve dans les objectifs des projets ou de la pédagogie, mais le sens se trouve dans les valeurs, idées philosophiques que nous nous faisons du monde. Ce sens se construit dans un dialogue permanent entre ce qu’on pense, la théorie et la pratique.
En ce sens, l’idée Sartrienne que le projet est un acte par lequel nous tendons, de toute notre liberté, vers le futur et les possibles, me va très bien et permet de construire de la pédagogie plutôt que de reproduire bêtement des outils pédagogiques dont on a extrait le sens et les rendre tautologiques.”
Alexi : “Je fixe des objectifs de travail pour mon équipe”
“Pourtant, je travaille toujours avec des objectifs. La différence c’est que mes objectifs sont dirigés vers l’équipe d’animation, et non plus vers mon public.
Je continue d’établir des diagnostics afin d’ajuster au mieux mes actions en fonction des besoins et des envies de mon public, mais je ne me fixe jamais d’objectif qui implique une évaluation de mon public.
En somme, je garde la démarche de base, mais je m’éloigne vraiment de l’usage des objectifs opérationnels qui impliquent une évaluation de réussite. Je me donne une obligation de moyens, pas une obligation de résultat. Je fixe des objectifs de travail pour mon équipe.
Par exemple, mon objectif ne sera pas que les enfants apprennent à se servir d’un marteau. Mon objectif sera de mettre en place un fonctionnement qui puisse permettre aux enfants, s’ils le désirent, d’apprendre à se servir d’un marteau. Ainsi on va réfléchir à comment rendre l’utilisation des outils possible (accès libre), attractive (mise en valeur) et l’apprentissage facile (livres de bricolage, animateur référent toujours disponible pour transmettre son savoir faire …). Mais si aucun enfant n’a l’envie d’utiliser les outils mis à disposition, tant pis, ce n’est pas un échec puisque l’objectif (la mise en place de tout ce que l’on vient de décrire) a été atteint. Le souhait des enfants passe avant tout.
C’est pourquoi j’ai l’habitude de dire que je ne crée pas d’animations, je crée uniquement des opportunités. Libre ensuite aux enfants de saisir ces opportunités ou non.”
Quelques liens non cités dans les témoignages…
- Article de Ludovic sur l’évaluation
- “Qui c’est le problème ?” – Jean-Michel Bocquet
- La pédagogie des problèmes – Laurent Ott
- Les activités spontanées – Alexi Uyttersprot
- Ecologie de l’animateur et risques associés aux ACM – Cyril Dheilly
- Projet d’animation vs projet de société de Lily Parent et Sylvain Stienon
- Se renseigner sur les formations pédagogiques animées par Evasoleil
Un grand merci pour apporter un éclairage étincelant sur ce que « pedagogie » veut dire.
C’est beaucoup d’infos…
Beaucoup de remise en question, beaucoup d’affirmations, dont certaines que je ne comprends pas, voir que je trouve “simplistes”
(Difficile d’oser ce terme quand on a des têtes pareils dans les témoignages ! 😉 )
Une part de moi hurle quand je lis certaines phrases, une autre ne peut s’empêcher de dire que c’est vrai, criant de vérité…
“La méthodologie par objectifs est claire : elle vise la productivité, parfois la rentabilité.”
(J’aurais tendance à dire non. Oh que non ! Surtout aux vues de la méthode d’application d’Alexi à la fin de l’article. L’objectif est multiple, varié, aussi vivant que ses utilisations. Pour ma part c’est si on reste coincé dans une vision unilatérale de la “méthodologie par objectifs” que oui, elle devient aberrante.)
“C’est l’arrêté du 20 mars 1984 qui date l’apparition et l’obligation de faire des projets éducatifs et pédagogiques dans les centres de loisirs. Ce point est particulièrement intéressant puisqu’il permet de rappeler que les colos et les centres aérés fonctionnaient sans projet avant cette date.”
(Est-ce que l’arrêté du 20 mars a inventé la méthodologie par projet ? Je ne pense pas, du coup comment affirmer que les ACM fonctionnaient sans projet avant cette date ? Il y en avait des projets !)
“il faut apprendre aux travailleurs sociaux, aux acteurs d’aujourd’hui et de demain à renoncer à toute utopie, à tout idéalisme. Tout ce qui nous amène à refuser d’accepter cette réalité pleine et entière comme elle est, à la regarder en face, doit être abandonné.”
(Là c’est ma vision de la vie qui tique… J’utopise la vie, l’humain, la création, et tout ce qui me touche. Je l’idéalise car je pense que si on se cherche pas à rendre quelque chose parfait, alors on se repose sur de la mediocrité, on perd une chance d’amélioration… Quand on cherche à être meilleur que les autres, alors on fini par être le meilleur. Puis après ? Rien. On est en haut, on a plus rien à faire. Plus d’objectif.
Quand tu cherches à être meilleurs que toi même, alors c’est un chemin de toute une vie. C’est un tissus de rencontres et d’expériences. C’est une poésie oú riment erreur et succès et oú l’on progresse à chaque secondes, parce que chaque seconde nous rend meilleurs que la précédente.)
Alors oui, l’application bestiale d’une méthodologie sans tenir compte du public en face de soit est une aberration, mais l’utilisation d’objectifs, de projets, est, comme le souligne Ludovic, propre à chacun. Elle en aide certain, elle est pénalisante pour d’autre.
Peut-on réellement affirmer qu’elle ne sert à rien ? Ou qu’elle est toute puissante ?
Je suis également interrogé par la phrase de Jean Michel Bocquet sur le fait que les associations travaillaient sans projet avant 1984 . Pour ma part Je pense que le projet a plutôt muté dans les années 80 et s’est revêtu de cette méthodologie qu’est la démarche par objectif.Cette méthodologie parce qu’elle doit être évaluable ne vise que le temps court et segmente la réalité. Le vrai mal ne vient pas des objectifs mais des indicateurs.
J’aurai dû écrire les associations pouvaient travailler sans projet avec cette date, mais c’est secondaire.
Les colos et les centres aérés ont toujours eu des finalités (ce qui n’est pas des objectifs), avant 1984 c’étaient ces finalités qui étaient mises en avant (cf le texte de Houssaye : http://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/30-1/10-Houssaye.html), il y avait dans ces idées, de la philo, une idée du monde et de son sens.
Avant 1984, il y avait des écrits qui racontaient l’organisation et ce qu’on allait faire, mais croyez-moi pas de projets découpés en objectifs, objectifs secondaires, objectifs opérationnels, moyens, critères et indicateurs d’évaluation. J’ai fait bcp de recherche historique et on ne trouve pas! Les écrits sont des projets au sens sartrien du terme, pas de la méthodo, de diagramme de Gantt ou autres.
La pédagogie par objectifs n’est qu’un moyen permettant de répondre à des finalités. Et la finalité qui sous-tend la pédagogie par objectif est celle du marché, de la rentabilité et de tout le reste. Vous pouvez essayer d’extraire un morceau : garder les objectifs et sortir l’évaluation, garder la pédagogie mais pas les objectifs, etc… Vous tomberez toujours que ce qui tient et sous-tend l’outil : le marché.
L’éducation est-elle un marché? si la réponse est non alors, il fait refuser de travailler avec les outils du marché. Avec cette mécanique qui permet de tout découper en tranches, en éléments mesurables et évaluables, comme si les enfants n’étaient qu’un tas de compétences à développer et, évidemment, à vendre.
Sur la méthodologie de projet, il faut aussi ajouter qu’il s’agit d’une pense spéculative sur les personnes. Cette pensée spéculative, uniquement construite dans le cerveau de quelques uns, permet de financer une action alors qu’on n’a même pas encore rencontrer les personnes avec lesquelles on est censé travailler. La méthodo permet de poser des préalables à la rencontre, d’affirmer des certitudes théoriques, de penser l’action non pas avec les personnes mais sans les personnes. La méthodo permet de construire des dominations, installe une pédagogie autoritaire et théorique. A la méthodologie de projet, il faut associer l’autre concept permettant cette construction : le besoin.
A la pédagogie par projet, j’oppose les pédagogies de la décision.
Au besoin, j’oppose le care.
Aux objectifs, la rencontre.
J’entends bien les remarques de Stefan et Pierre, je faisais les mêmes remarques et commentaires il y a qq temps. Et progressivement, j’ai fait, j’ai pratiqué les pédagogies de la décision et la théorie c’est éclairée. Pourtant entrer dans une démarche pédagogique de chgt est âpre, dur. On résiste, on s’accroche à qq certitude. Moi, il m’en reste qu’une : la force de la rencontre, la sollicitude pour cette personne rencontrée.
Quelques éléments ici : https://www.meirieu.com/ECHANGES/BOCQUET_PEDAGOGIE_DE_LA_DECISION.pdf
D’abord merci à tous d’avoir répondu à l’audace que j’ai partagé avec Stefan, de réunir certains d’entre vous, qui alimentent nos réflexions de praticiens (que vous êtes par ailleurs)!
Après les premiers jours de publication, j’ai lu 2 genres de critiques constructives et je souhaite y répondre :
Le coté unilatéral de la réponse : Les auteurs qui ont répondu positivement à mes sollicitations ont écrit dans leur coin, sans avoir connaissance ni de ce qui s’écrivait ailleurs, ni qui écrivait ailleurs… J’ai publié les écrits dans l’ordre des retours, sauf pour Cyril qui ne répondait “méthodologiquement” à aucune des 2 questions et qui traitait le problème autrement.
On peut donc seulement me reprocher d’avoir sollicité que des personnes plutôt critiques envers la pédagogie par objectifs. J’avoue tout… Mais notre intention à Stefan et moi était claire et affichée dès le titre… Il fallait au moins ça pour compenser le monopole de la pédagogie par objectifs.
Le flou qui peut subsister dans les définitions de chacun des mots “objectifs” et “projet” : Mon avis sur la question (et je ne suis expert en rien) est celui-ci : Les mots sont des vecteurs de pensées qui peuvent parfois être complexes. Lorsque certains lecteurs construisent des “objectifs” du type “Permettre au public de prendre des décisions sur les sujets qui les concernent” par exemple, je crois effectivement que l’on peut clairement les différencier d’un objectif du type “Amener les enfants à faire un clip sur Halloween”… Je pense qu’il manque à cet article un cadre de référence sur les mots. A ce sujet, j’avais sollicité quelqu’un qui n’a pas répondu positivement. Il y a aussi une différence entre pédagogie de projet et pédagogie par objectifs qui me semblerait intéressante à analyser.
L’idée de cet article vient d’un questionnement que j’ai eu dans un échange avec Stefan : Evasoleil travaille un projet pédagogique, qui contient des objectifs. Mais est-ce vraiment des objectifs? Est-ce vraiment un projet pédagogique ? Y a t’il une différence avec la plupart des projets et objectifs qui alimentent mon allergie au package méthodologique vendu par les organismes de formation ? Et si oui, quelle est-elle?
Je n’ai pas toutes les réponses, même si les auteurs m’ont éclairé sur certains points. Je pense que l’objectif est clairement condescendant lorsqu’il vise l’autre, ce que l’on veut de l’autre. Il l’est d’autant plus lorsqu’on se permet de mesurer sa progression. Quand l’objectif crée du possible, c’est d’un autre ordre…
Le projet, quand à lui, prévoit. Il ne peut prévoir sans celui qu’il concerne. En tant que militant du projet d’enfants, j’en suis convaincu depuis des années.
Nous changerons peut-être à Evasoleil quelques mots, ou nous le redéfinirons : Projet, Objectif…
Concernant le mot “pédagogie”, il n’a de sens pour moi que lorsqu’on l’associe à un chemin, des intentions, un contexte, un public. La pédagogie, c’est du bricolage. Une fois l’objet à peu près fabriqué, on peut le jeter, il ne sert plus. Le pédagogue est un créateur-bricoleur.
Merci à vous tous 😉
Bonjour Pierre, et merci pour ta réaction. Merci aussi à Sylvain et l’association Eva Soleil pour ce site très riche !
Pour répondre à ta remarque, Pierre, la rentabilité et la productivité sont des termes très orientés, et ils le sont volontairement. Je n’y applique cependant aucun jugement moral. D’ailleurs, la rentabilité et la productivité peuvent se résumer en un terme : l’efficacité. Mais ce glissement dans les termes modifie aussi un peu le sens. Or le sens de rentabilité et de productivité, c’est avant tout l’économie. La méthodologie par objectifs (ultra-majoritaire pour “penser” son action, ses fonctionnements) implique de fait la volonté d’être rentable, efficace économiquement. Mais qui pourrait aujourd’hui se dédouaner des contraintes économiques ? Personne, je crois.
Le sens de mon propos était surtout de pointer ça : les temps de loisirs sont depuis les premières colos des temps productivistes. Pas au sens de “produire des biens dans une usine”, mais au sens de “ce temps doit servir à quelque chose”, il doit [remplir un objectif]. L’objectif sanitaire (apprendre à bien manger, bien se laver, avoir une activité physique, développer sa respiration dans un air sain, loin des villes viciées), l’objectif religieux (et moral !), l’objectif éducatif (apprendre, différemment de l’école), etc.
Je n’envisage plus mon travail de cette manière, ce qui n’empêche pas que des objectifs existent toujours (les objectifs du ministère, de l’organisateur, des parents, du cuisinier…). Mais sur mes séjours/accueil, il y a des apprentissages, des découvertes (parfois très scolaires), des soins et des interventions sanitaires… Mais il n’y a aucune attente*. Aucune… à priori ! Chaque objectif, si tant est qu’on puisse utiliser ce mot, est une définition interpersonnelle entre un adulte et un enfant, entre deux enfants, entre deux adultes. Et il n’est noté nulle part, il n’est définit par personne et personne n’ira contrôler (cf. la question de l’évaluation dont parle Alexi). Si je m’affranchis également des objectifs pour les adultes, c’est simplement une question d’outil et de vocabulaire. La rencontre avec les animateurs et les animatrices et est de l’ordre de l’alchimie, avec énormément de facteurs dont nous n’avons conscience ni moi, ni eux. Mais il se passe que des envies apparaissent, que des désaccord ou des questions viennent modifier nos manières de faire. De l’extérieur, certains pourraient peut-être y voir émerger des objectifs, mais ils n’en ont ni la prétention, ni la finalité (et donc, toujours pas d’évaluation, parfois un accompagnement).
A l’occasion, je prendrai le temps de détailler un peu plus comment ça peut se passer.
* qui dit aucune attente dit “aucune utilité d’exercer une autorité”. Dans le sens d’Alain Vulbeau de renversement de ce terme : http://fr.calameo.com/read/0001620589fa0138b7f6d