Est-ce qu’on fait bien de laisser le sujet de l’éducation aux politiciens?
Résumé d’une conversation entre Théodore, trésorier d’Evasoleil et Sylvain, co-directeur d’Evasoleil, lors d’un trajet en minibus pour aménager notre colo, en avril 2025.
Une politique éducative à géométrie variable
Sylvain :
J’ai repensé à ce que tu m’avais dit à propos de la mairie RN qui avait tendance à censurer / contrôler les actions de son personnel, notamment du service animation. Je me demandais comment on pouvait agir, se protéger de ce genre de politique…
Théodore :
Oui, ils ont mis en place des “fiches action”. Sur le principe, ça n’a pas l’air méchant, mais en fait, ça leur permet d’être informés de toutes les actions de leurs services et donc de censurer une action éducative ou une autre sur des critères (public, valeurs…) politiques et d’avoir le contrôle de l’éducation. Et je ne pense pas que les fiches action soit le seul moyen de contrôle…
Ce que je trouve dangereux, c’est que les politiques (quels qu’ils soient) puissent avoir seuls le pouvoir de décision sur l’éducation. Le RN met en lumière ce sujet mais c’est un problème de fond, presque constitutionnel. Car c’est un problème même quand il s’agit d’un autre bord politique. Heureusement qu’il y a l’éducation populaire.
Sylvain :
Mouais… La plupart des assos qui œuvrent dans l’éducation populaire sont aussi soumises aux partis politiques car dépendantes des subventions. On le constate d’ailleurs dans les mairies RN.
On peut observer facilement comment les associations qui dépendent de l’argent public sont pieds et poings liés, soumises à la politique publique, et réclament leur “dose” chaque année. D’un point de vue du financeur public, c’est une sorte de délégation de service public déguisé : l’Etat, ou une collectivité locale, ne veut pas gérer un secteur d’activité ; une association loi 1901 va le prendre en charge, et des bénévoles vont s’engager. Mais l’État reste décisionnaire puisqu’il a le pouvoir, l’argent… C’est une belle escroquerie pour les militants. Et à mon avis, c’est un non-sens en ce qui concerne les associations de l’éducation populaire, quand on fait le constat que la politique peut avoir d’autres projets que de faire vivre la démocratie, développer l’esprit critique…
Pour terminer, les subventions sont soumises aux critères du financeurs qui changent en fonction des partis, donc des élections. C’est comme si on acceptait par avance ce qu’on allait nous demander, quelles que soient les intentions des futurs dealers qui seront au pouvoir…
Théodore :
Oui, dit comme ça, ça donne pas l’impression que l’éducation populaire soit très libre.
Et dans l’éducation nationale c’est pas mieux.
J’ai vu une conférence en didactique*, où on parlait du virage de l’économie à l’école. En gros, ce qui était dit, c’est que l’économie enseignée s’était déplacée petit à petit pour poser notre économie actuelle comme “naturelle”. Alors qu’auparavant, ce qu’on enseignait était plus proche de l’économie scientifique et on montrait plusieurs points de vue. Enfin, c’est ce que j’en ai retenu, je déforme peut-être un peu. Et là on parle d’économie, mais les exemples de disciplines sont nombreux : l’Histoire, les sciences, l’agriculture…
Le choix des matières, des connaissances à enseigner et de comment les enseigner est hyper politique.
C’est facile comme moyen de contrôle en plus, ils changent tout le temps les programmes. Facile aussi de corriger des teintes politiques à chaque modification. Et ça m’énerve, parce que ça impacte profondément la vision du monde des étudiants. Pour reprendre sur l’économie, difficile de remettre en cause le capitalisme si on ne connaît que ça.
En fait, tout ce qu’on vient de se dire, ça me déprime même. Et c’est flippant, mais je me pose parfois la question de savoir si on peut toujours agir grâce à l’éducation.
*Discipline universitaire qui vise à théoriser les façons d’apprendre en partant des contenus enseignés.
L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde
Sylvain :
Je parlais avec un éleveur d’oies et de chèvres dans le Tarn il y a quelques semaines. Il était un peu sceptique sur la question de l’éducation, mais à chaque piste qu’on suivait, l’éducation apparaissait comme indispensable à tout changement. Cela dit, il faut sans doute s’interroger sur “quelle éducation”? Si l’on veut changer le monde, je pense qu’il faut changer aussi notre façon d’éduquer, je suis d’accord avec ton constat.
Théodore :
C’est sûr qu’il y a quelque chose à changer.
L’éducation devrait au moins nous aider collectivement à dessiner le futur monde. Je veux dire que l’éducation devrait au moins nous permettre d’éviter les guerres et de ne pas pourrir notre environnement. J’allais dire qu’on fait tout pour l’économie, mais en fait quand je regarde notre dette, on est pas meilleurs non plus. Mais comment permettre aux enfants de préparer le monde de demain si, par notre action éducative, on cherche seulement à les convaincre de vivre dans notre modèle de société? Est ce que l’éducation est à la hauteur des enjeux de demain ?
Je ne crois vraiment pas.
Sylvain :
Nelson Mandela disait que l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde et je suis d’accord avec ça.
En tout cas, on ne peut pas se passer de l’éducation politique, de la connaissance des sujets en jeu, de l’esprit critique des citoyens, pour changer le monde…
Mais si les politiques ne sont pas des décideurs fiables ni à la hauteur des besoins de notre société, c’est mal barré… non ?
Redistribuer le pouvoir de notre politique éducative
Théodore :
Pour commencer, il faudrait soit dessaisir les politiques du sujet de l’éducation, soit au contraire tous les y inviter (tous les partis), comme une assemblée nationale de l’éducation. Après, du coup on pourrait ajouter des didacticiens et des pédagogues, enfin des chercheurs en éducation pour avoir des éclairages théoriques sur les contenus, les méthodes et choses à enseigner. Il faut aussi forcément des professionnels, profs, éducs, anims, toutes celles et ceux en rapport direct avec des jeunes. Et puis forcément, des jeunes, d’un peu tous les âges, enfin les premiers concernés quoi ! Mais il faut absolument qu’ils aient une vraie place, pas qu’ils soient bouffés par une assemblée d’adultes.
Sylvain :
Arghhh. J’aime bien l’idée mais il va falloir une grande salle pour accueillir tout le monde. Si tu ne veux pas de démocratie représentative… On est pas mal et pas forcément tous d’accord… Je lis à travers ton propos qu’il faudrait séparer le pouvoir législatif et exécutif du pouvoir de l’éducation. Le pouvoir de l’éducation, une instance à part, un peu comme la justice, c’est ça?
Théodore :
Ah mais c’est trop bien ça ! J’adore cette idée.
Je connais pas trop le système de justice, mais l’idée de créer un pouvoir à part entière pour l’éducation, c’est exactement ce qu’il faudrait ! Sinon il est trop facile pour un gouvernement de contrôler son peuple.
On en fait un article ?