Les Colos : Point de rassemblement

Sommaire

A la recherche de tous et toutes les mixités
    – Réunir des classes aisées, moyennes et défavorisées
    – Aller à la rencontre des publics invisibilisés en situation d’extrême pauvreté et de précarité

Notre rencontre avec Intermèdes Robinson
    – Présentation d’Intermèdes Robinson
    – Présentation des publics exclus accueillis par Intermèdes Robinson
    – Qu’est ce que représente la rencontre

Comment inviter ces publics ?
    – L’utilisation de l’excédent d’un compte de résultat associatif
    – La volonté personnelle d’offrir des séjours à des enfants en situation de pauvreté
    – Lilo

Pour conclure

 

La colonie de vacances est un espace de rencontre, de co-décision, de fabrique de société, de mixité, d’engagement, un espace de repos, de loisirs, de plaisirs auxquels l’accès est restreint à un trop faible nombre d’enfants. Beaucoup de publics en sont exclus, souvent sans que personne en particulier, ou qu’un organisateur ne le souhaite. Certains de ces publics que nous ne retrouvons pas en colo sont absents aussi des clubs sportifs, des instances de décisions locales et des espaces communs de la société (espaces culturels, politiques etc).

À notre petite échelle, et sans aide publique, nous cherchons des idées pour inclure tous les publics à ce que nous pensons être du bien commun, et le contraire d’un produit de marché réservé à certains d’entre nous : la colonie de vacances.

Nous croyons pourtant que chacun peut faire quelque chose, participer à sa hauteur à ce que la colo reste un bien commun, accessible à tous. Nous montrons dans cet article que nous pouvons tous agir : simples utilisateurs d’internet, parents, animateurs, directeurs, organisateurs…

 

A la recherche de tous et toutes les mixités

Réunir des classes aisées, moyennes et défavorisées

Si l’on laisse les choses se faire, nous remarquons que nos colos se remplissent d’enfants dont les parents appartiennent à une classe sociale plutôt privilégiée, des enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (qui finance les départs en colo lors de la fermeture annuelle des structures éducatives en août), et des enfants dont les parents ont une aide suffisante de la Caisse d’Allocations Familiales (en fonction du département). Et les autres ? Les enfants en situation d’extrême pauvreté, les malades, les énurétiques ou autres caractères gênants, les enfants hors circuit de l’ASE, ou de familles trop peu aidées des CAF ? Les enfants trop fragilisés pour s’intégrer au collectif sans un réel accompagnement ? Les classes moyennes qui gagnent trop pour être aidées mais pas assez pour payer des vacances à leurs enfants sans mettre à mal les vacances en famille ?

Beaucoup de structures associatives locales organisent heureusement des séjours de vacances à bas prix, comme des centres sociaux, mais de nombreuses familles françaises n’y ont pas accès. C’est aussi parfois une barrière culturelle, intime, ou un tarif qui reste trop élevé pour la famille malgré l’aide.

Evasoleil propose des colos en bord de mer, avec des activités plutôt onéreuses, une équipe préparée durant plusieurs mois pour la mise en place dune pédagogie permettant la rencontre, l’engagement et le respect de l’individualité. Les membres de l’association travaillent, comme beaucoup d’autres, à améliorer la qualité de chaque partie du séjour : la nourriture, l’hébergement, le transport, les activités de découverte, le matériel permettant des projets d’enfants variés, une formation et un respect de son équipe d’animation… Nos séjours sont toujours trop chers. Et cela même si nous faisons la guerre aux dépenses inutiles. Mais réduire les coûts ? Quelles qualités souhaitons-nous négocier ? Le repos des animateurs ? L’assurance ? La qualité de la nourriture ? L’hébergement ? La mer ? La découverte de certaines activités ? Devons-nous créer des séjours pour les riches et des séjours pour les pauvres ? Devons-nous entrer dans une politique de marché, avec des séjours où certains enfants peuvent aller à la plage, dormir dans des lits, faire du cheval, avoir du matériel pour leurs activités, et d’autres séjours moins chers où les enfants doivent dormir en tentes, sans matériel, avec moins d’animateurs, sans activités sportives, à proximité de chez eux ?

C’est une question que nous avons dépassée en y répondant ainsi : non ! Par contre, nous devons créer du partenariat, inventer des moyens de rendre nos séjours accessibles au plus grand nombre. Nous devons travailler à accueillir tous les publics : des familles aisées aux enfants en situation d’extrême pauvreté. Car nous pensons que la colo est un espace de rencontre unique et formidable. Nous cherchons à ce que nos séjours plaisent à tous : expatriés, étrangers, riches, pauvres, sportifs, artistes, ruraux, urbains… Et si nous n’y arrivons pas pour tous, nous essayons, inventons, expérimentons, créons de nouveaux moyens, de nouvelles idées, de nouveaux partenariats, tant que l’Etat ne permettra pas à chacun de pouvoir vivre ces expériences éducatives collectives.

Notre petite association (2 permanents et 5 administrateurs) est conventionnée avec 40 CAF (plus d’un mois de travail chaque année). Nous travaillons avec de nombreux partenaires associatifs pour trouver des moyens toujours plus originaux d’accueillir de nouveaux publics :
 


 

Aller à la rencontre des publics invisibilisés en situation d’extrême pauvreté et de précarité

L’organisateur (au sens large du terme), à partir d’une idée, doit chercher à s’entourer, faire partie d’un réseau d’acteurs possibles, de publics pour inclure, dès la naissance du projet, quelqu’il soit, toutes les personnes susceptibles d’être intéressées par celui-ci. Et construire avec elles. Il s’agit donc, pour une colo, de partager l’idée du séjour, de la présenter aux associations sociales, et d’avoir l’intention réelle de bricoler son idée avec tous. Les centres sociaux, les associations qui agissent avec des publics précaires, doivent être parties prenantes, des acteurs du projet. Il ne suffit pas de leur offrir des places en colo, il faut surtout aller à leur rencontre et faire ensemble.

Si un organisateur de colos est administré et dirigé par une classe sociale favorisée, urbaine et universitaire, il aura tendance à inventer des solutions pour sa classe sociale. Et cela même s’il a des intentions généreuses et humanistes. Il faut aller à la rencontre et co-construire avec tous. Nous pensons que le modèle associatif doit permettre cela, une pluralité et une représentation la plus large possible de ce qui constitue notre société. Il ne faut pas travailler pour mais travailler avec. Il ne faut pas travailler seul mais dans un réseau d’associations.

 

Notre rencontre avec Intermèdes Robinson

Présentation d’Intermèdes Robinson (par Laurent Ott, directeur)

 

Intermèdes Robinson est une association qui se situe à la lisière du secteur Social, de l’Éducation Populaire et de l’Enseignement. C’est une association qui promeut et met en pratique un véritable droit à l’éducation non formelle en milieu ouvert.

Très concrètement, notre association porte au devant des enfants et des familles confrontés aux violences économiques, sociales, administratives et éducatives et réalise auprès d’eux et avec eux des ateliers éducatifs et sociaux, dans leur propre environnement.

Notre action est conduite par les théories et pratiques de la Pédagogie Sociale et s’inspire des travaux de Korczak, Freire, Freinet et Radlinska.

 

Présentation des publics exclus accueillis par Intermèdes Robinson (par Laurent Ott)

Concrètement, nos activités ont pour action phare des “ateliers socio-éducatifs en milieu ouvert” que nous réalisons très régulièrement et intensivement directement dans les lieux de vie de nos publics prioritaires : quartiers sensibles, bidonvilles et hôtels sociaux. Tous nos ateliers sont ouverts à tous les âges, sans condition, sans préalable et sont évidemment gratuits.

 

Qu’est-ce que représente la rencontre entre ce public et les autres ? (par Laurent Ott)

Le mélange des publics n’est pas une idéologie en soi, ni un acte de courtoisie ou de charité. Il est une nécessité pour obtenir une microsociété qui fonctionne, une communauté viable, un groupe fructueux. Nous ne croyons pas à la mixité pour tirer “vers le haut” les enfants et les familles pauvres ou précaires; nous croyons à l’inconditionnalité qui permet aux publics marginalisés, refoulés, ignorés et invisibles depuis les associations et les institutions, de devenir centraux et de prendre une place essentielle dans nos ateliers et nos activités qui inventent et qui innovent.

 

Comment inviter ces publics ?

L’utilisation de l’excédent d’un compte de résultat associatif

C’est en 2016, lors de l’Assemblée Générale que Mathieu Mauvieux, élu du conseil d’administration d’Evasoleil, propose qu’une partie des excédents réalisés sur l’exercice 2015/2016 (alors de 13000€) puisse être réservée au départ en colo d’enfants en situation d’extrême pauvreté. Cette idée est née lors de la présentation du rapport de l’UNICEF 2015 par Sabine Potdevin (élue au conseil d’administration également, chargée de la question des droits de l’enfant).

Après le vote de la proposition de Mathieu, celui-ci se mit à la recherche d’associations qui travaillent à l’année avec des publics fragilisés par la pauvreté. Il contacte ainsi plusieurs associations dont Intermèdes Robinson, avec qui nous finirons par concrétiser le projet. Nous avons accueilli durant l’été 2017 Elie et Fatoumata (cf. article sur la naissance de ce projet).

L’exercice 2016/2017 fut moins bon financièrement (Evasoleil totalise un excédent de 1300€ seulement) mais l’Assemblée Générale décide de maintenir l’accueil de deux enfants en 2018.

 

La volonté personnelle d’offrir des séjours à des enfants en situation de pauvreté

Mebrouk est un animateur professionnel, d’origine algérienne, qui après des années de bénévolat dans un centre social parisien, est passé d’un poste de directeur d’accueil de loisirs, à un poste de coordinateur enfance-jeunesse d’un centre social, en passant par éducateur de rue, coordination en musique actuelle et culture urbaine en région parisienne, entre autres… Formé BAPAAT et BPJEPS, il est animateur depuis 19 ans, et a participé au montage de plusieurs séjours solidaires à l’étranger (Mali, Sénégal, Maroc…).

Nous avons souhaité lui consacrer une place importante dans cet article, car son action est concrète, et même s’il ne souhaitait pas la communiquer, nous pensons qu’il n’est pas le seul animateur à agir comme il le fait, et qu’il nous paraissait intéressant de prendre le temps de le comprendre :

Lorsqu’il décide d’encadrer un séjour Evasoleil, il arrive avec sa condition : “Je veux être bénévole et souhaite que l’argent normalement destiné à me payer serve au départ de 2 enfants supplémentaires d’Intermèdes Robinson.” Les intentions sont posées clairement.

Entretien pour en savoir un peu plus sur ses motivations :

Tout d’abord, Mebrouk ne s’appelle pas Mebrouk. Et lorsqu’on lui demande pourquoi il ne souhaite pas que sa véritable identité soit citée, il répond : “Je ne veux pas que le sujet soit moi. Le sujet, c’est les enfants et l’action. Je peux le faire financièrement, alors je le fais, tout simplement”. Mebrouk nous parle alors de ce qui a déclenché cette idée : “Lorsque j’ai lu votre article Un projet pour la mixité sociale, j’ai trouvé ma façon d’aider concrètement le départ en colo d’enfants en situation de pauvreté. Je l’ai toujours un peu fait, en bricolant des financements, en aidant comme je pouvais certaines familles, en payant de ma poche des extras aux enfants, en animant bénévolement des séjours d’un centre social. Mais là, c’était très clair. Je pouvais officiellement agir sur cette question, là où les pouvoirs publics sont inefficaces depuis tant d’années.”

Mebrouk explique pourquoi la colo est importante pour lui : “Le voyage est un des plus beaux moyens qui nous soit offert pour rencontrer, découvrir l’autre, sa culture, ses paysages, sa vie. On se découvre soi-même quand on voyage. La colo permet aux enfants et aux jeunes de voyager, de partir en vacances. Je crois en la colo parce que les rencontres éduquent chacun d’entre nous”.

Lorsqu’on lui pose la question des motivations profondes, il répond : “Je suis musulman. Un des 5 piliers de l’Islam, c’est l’aumône. Dans mon cas, je cherche à aider l’autre, autrement. Mais c’est une question philosophique aussi. Je suis engagé depuis tout jeune dans le bénévolat. Je ne suis pas riche mais j’ai suffisamment pour vivre. Mon salaire, c’est de savoir qu’il y a 2 enfants de plus qui partiront en colo alors qu’ils n’y ont normalement pas accès. J’ai l’occasion de pouvoir le faire. J’ai un contrat de travail à l’année et mon engagement m’y pousse.”

Mebrouk continue : “Je n’ai pas l’habitude de faire des dons financiers. D’abord parce que je veux être sûr que cet argent serve à ce que je souhaite, et pas à des frais de fonctionnement obscurs. De plus, si je faisais un don financier, il serait issu de mon salaire net. Toutes les cotisations patronales et salariales correspondantes ne serviraient pas au projet mais à la solidarité organisée par l’Etat. Or, l’Etat s’est depuis longtemps désengagé des colos. Evasoleil fait une économie totale et peut augmenter son budget déjà alloué pour le départ en colo d’enfants en situation de pauvreté.”

Nous avons quand même insisté sur la question de l’anonymat : “Tu veux rester anonyme même vis-à-vis des enfants qui bénéficieront de ton geste ?”
Mebrouk : “Oui, il n’y a pas d’intérêt à ce que la lumière se tourne vers moi. Si je réponds aux questions, c’est que je me dis que ça peut créer d’autres envies, auprès d’autres animateurs… Je ne suis ni sauveur, ni intéressant en tant que personne. J’agis, et de cette façon, je ne laisse pas le doute sur mes intentions. J’ai du mal à croire à la politique telle qu’elle existe aujourd’hui. Je ne vote plus depuis longtemps. Ma façon d’exprimer ma citoyenneté passe par ce genre d’action concrète. Je souhaite une bonne colo aux 4 enfants d’Intermèdes Robinson qui partiront avec Evasoleil cette année”.

Mebrouk termine notre échange en rappelant la légende du colibri : “Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! “
Et le colibri lui répondit : “Je le sais, mais je fais ma part.”

Faire sa part, je pense que cela résume mon action. Ce ne sont pas les Hommes ou leurs paroles que nous devons prendre en exemple, mais leurs actions.”

 

Lilo

Soutenez notre projet Lilo

Evasoleil a proposé en avril 2018 un projet social au moteur de recherche Lilo, qui finance des projets sociaux et environnementaux (et protège les données personnelles des utilisateurs).
Le projet nommé “La colo enjeu de société” a été, au moment où nous rédigeons cet article, sélectionné par Lilo, et est en cours de recherche de soutiens pour le rendre public et accessible à tous les utilisateurs Lilo.
L’utilisateur Lilo, à chaque utilisation du moteur de recherche, gagne automatiquement des gouttes d’eau qu’il peut redistribuer aux projets sociaux qu’il souhaite.

Notre projet vise à collecter auprès des utilisateurs qui nous choisissent, les gouttes d’eau pour financer des départs en colo d’enfants et d’adolescents en situation d’extrême pauvreté. Quelques enfants, vivant en bidonvilles, en hôtels sociaux ou dans la rue, pourraient aussi partir en vacances collectives.

Ce projet s’ajoutant aux autres, pourrait, en récoltant une somme moyenne de 100€/mois (soit 50 000 gouttes/mois environ) par exemple, permettre à deux enfants supplémentaires de partir en colo.

 

Pour conclure

La mixité n’est pas une exigence sociale, elle est une condition de démocratie. Sans elle, pas de groupe viable, ou authentique. Il ne peut y avoir de véritable éducation collective dans un entre soi qui reposerait sur l’exclusion des plus pauvres et des plus précaires. La société qu’on apprend à vivre et à reproduire dans ce genre de collectifs, de groupes “excluants”, ne peut être qu’une société qui portera plus loin encore l’exclusion, l’individualisme, et l’indifférence à autrui.

À l’inverse, un groupe démocratique qui se met à la hauteur des plus petits, s’assure d’être en mesure d’accueillir en réalité tout le monde et de contribuer ici et dès maintenant à la transformation nécessaire de notre société.

La mixité sociale est utile et relativement simple à créer si l’intention existe. Une fois réalisée, c’est-à-dire une fois que les enfants de milieux initialement séparés et éloignés sont réunis, nous pensons que le modèle pédagogique doit viser le faire-ensemble, la rencontre, la co-décision, et exclure les modèles où les enfants sont passifs, consommateurs ou dans un schéma de cohabitation.

Liens connexes

Publié le 20 avril 2018 Par Evasoleil
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