Depuis leur création en 1880, 60 millions de petit(e)s français(es) sont passés par les colonies de vacances.
Véritable réceptacle des évolutions sociales et politiques du pays, elles resteront un terrain de bataille idéologique et un enjeu politique jusqu’à la moitié du XXe siècle.
Dans le sillage des lois Jules Ferry
Il faut le préciser d’emblée, ce n’est pas en France que les premières colonies de vacances sont apparues, mais en Suisse dans les années 1870, lorsqu’un Pasteur du nom d’Hermann Walter Bion plaça 68 enfants de Zürich chez des paysans des montagnes voisines pendant trois semaines.
Les colonies de vacances naissent d’expériences sociales reposant sur certains personnages clés de l’Histoire. Les Ferien-Kolonien étaient nées et allaient essaimer dès les années suivantes dans d’autres pays d’Europe et du monde, portées par d’autres Protestants.
Dans la France du début des années 1880, les Républicains de la Troisième République sont en train de doter la France d’une école gratuite, laïque et obligatoire : les lois Jules Ferry.
Le but de la réforme est double : desserrer l’emprise de l’Église sur la jeunesse française pour la faire adhérer aux idées républicaines, à l’encontre de la droite monarchiste, et former des citoyens capables de faire prospérer et de protéger la patrie, de toutes origines et de toutes conditions, sur les mêmes bancs d’école.
La défaite de 1870 contre la Prusse est dans toutes les têtes, il faut préparer la revanche. Les Républicains emboîtent donc très rapidement le pas des Protestants pour expérimenter ce qui deviendra des colonies de vacances.
Dès la décennie 1880 se développent donc des initiatives issues à la fois d’œuvres de charité protestantes et de l’école républicaine.
Extirper les enfants miséreux des quartiers insalubres
L’objectif initial commun à toutes les colonies est d’ordre sanitaire : il s’agit d’arracher les enfants pauvres et en mauvaise santé à leur milieu urbain, pour les envoyer le temps de quelques semaines estivales chez des paysans, au grand air pur de la campagne, de la montagne ou de la mer.
Car en cette fin de 19e siècle, l’enfance des quartiers défavorisés paie un lourd tribut au développement des activités industrielles jusqu’au cœur des banlieues ouvrières.
Elle évolue dans un environnement insalubre et nombre de maladie sévissent, comme la tuberculose et le rachitisme. Les quartiers riches sont relativement épargnés, et les familles qui en ont les moyens envoient les enfants en nourrice à la campagne où ils se « remplumeront » grâce au bon air et à une solide alimentation paysanne.
A cette vision strictement hygiéniste marquée par les représentations de l’époque – opposant l’air vicié de villes décadentes à la terre nourricière des campagnes saines – s’ajoutait dès le début du 20e siècle une dimension éducative.
Alors qu’en Suisse le Pasteur Bion dispersait les enfants chez les paysans, Edmond Cottinet – considéré comme le fondateur des colonies de vacances en France – réussit à imposer une vision différente.
Les enfants, selon lui, devaient être regroupés dans des centres collectifs gérés par un personnel spécialisé.
Son but était de développer ce qui allait rester l’objectif fondamental des colonies de vacances : l’apprentissage du vivre-ensemble et de l’autonomie.
Sans être formulé ainsi à l’époque, l’ambition était de créer une fraternité idéale le temps de la colonie, pour la diffuser ensuite dans le reste de la société.
Cet aspect a été particulièrement important après les deux guerres mondiales, quand il fut nécessaire de resserrer les liens entre les citoyens pour ressouder la société meurtrie.
Le terrain des batailles idéologiques
Cette institution qu’est rapidement devenue la colonie de vacances en France émane directement de la société civile.
Elle est le fait de paroisses, d’associations d’instituteurs laïques, de municipalités, de comités d’entreprise, …
Elle sera utilisée par tous ces acteurs comme un instrument pour diffuser auprès de la jeunesse française les idéaux et idéologies en cours.
Depuis leur création à la fin du 19e jusqu’à la seconde guerre mondiale, les colonies de vacances formeront ainsi une myriade de cellules très politisées.
Protestants, Catholiques et Juifs, socialistes, communistes et même nationalistes (quoique de façon marginale pour ces derniers) rivaliseront ainsi pour attirer dans leurs colonies les enfants en stimulant un imaginaire d’aventure, parfois inspiré du scoutisme.
Prenons l’exemple des colonies catholiques : il s’est agi au départ pour elles de mettre à profit les vacances d’été pour contrebalancer les programmes de l’école laïque ayant cours le reste de l’année.
Tandis qu’à l’opposé, les laïcs envisageaient les « colos » comme un prolongement de l’école et une façon de tenir éloignés les élèves des églises.
Autre exemple : les colonies de paroisses catholiques développaient le jeu comme une vertu éducative destinée à développer le goût de l’effort, du sacrifice, l’esprit d’équipe et la discipline.
Les Faucons rouges – liés à l’Internationale socialiste – privilégiaient de leur côté l’apprentissage de la démocratie et de la coopération. En témoigne la célèbre République enfantine des Mathes en Charente-Maritime.
L’âge d’or des colonies de vacances
Face à l’essor rapide des colonies de vacances au début du 20e siècle (on compte 220 000 petits colons à l’orée de la seconde Guerre mondiale), l’Etat alors dirigé par le Front Populaire décide de les réglementer en 1938 : en plaçant les mineurs sous sa protection et en fixant des règles sur l’encadrement et le projet éducatif.
Après l’intermède de la seconde Guerre mondiale, le phénomène connaîtra ce qui reste dans la mémoire collective comme l’âge d’or des colos. Grâce à une aide considérable de l’Etat au cours des années 50 et 60, les écoles, les municipalités, les comités d’entreprise et les associations déploient tous leurs efforts pour faire partir les enfants du baby boom en colonie.
Les images des trains bondés d’enfants issus de la classe ouvrière au départ des municipalités de la banlieue Rouge sont à cet égard saisissantes.
Depuis 1995 : Déclin et recomposition
On comptait 100 000 petits colons chaque année à l’orée de la Première guerre mondiale, 400 000 après la seconde guerre mondiale et ils se comptaient en plusieurs millions au milieu des années 50.
Un nombre stable jusqu’aux années 90, avant l’amorce d’un déclin brutal. En effet, le nombre de nuitées en colonies a diminué de moitié ces vingt dernières années.
Allongement de la durée des congés payés des parents, consommation de masse, montée de l’individualisme, repli de la société sur la structure familiale, disparition des infrastructures, augmentation des prix… Voici les explications avancées pour expliquer cette tendance négative. Dans le détail, l’on observe en fait que le déclin des colonies généralistes accessibles aux « enfants du peuple » a débuté dès les années 80 pour laisser place à des colonies à thèmes destinées aux enfants de familles aisées.
Ce fut aussi la période où de multiples modèles différents de colonies de vacances ont vu le jour.
Aujourd’hui les colonies s’adaptent en se distinguant de leurs concurrentes par des activités et des thématiques particulières, en adaptant les activités de groupe aux exigences individuelles, dans une approche parfois plus individualiste que collective.
En parallèle, le fort clivage laïc/religieux qui a eu cours pendant les trente glorieuses a cédé le pas à un clivage entre colonies marchandes et non-marchandes. Car il reste malgré tout à l’heure actuelle des colonies accessibles à tous et vectrices de mixité sociale, où l’on cultive le goût du vivre ensemble.
Sources
« Histoire des colonies de vacances, de 1880 à nos jours », Laura Lee Downs, Editions Perrin, 2009.
« Le livre des colos. Histoire et évolution des centres de vacances pour enfants », Jean Houssaye. Editeur : La Documentation Française (1 avril 1989).
« Quel avenir pour les colonies de vacances ? » Emission Rue des écoles de Louise Tourret, diffusée le 20 juillet 2013 sur France Culture (29 mn). https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/les-colonies-de-vacances
« Les colonies de vacances ». Emission La marche de l’Histoire, de Jean Lebrun, diffusée sur France Inter jeudi 30 juin 2016 (28 mn). https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-30-juin-2016
Rebecca Rogers, « Laura Lee Downs. Histoire des colonies de vacances de 1860 à nos jours | Susan B. Whitney,Mobilizing Youth: Communists and Catholics in Interwar France », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 34 | 2011, mis en ligne le 15 décembre 2011, consulté le 10 février 2017. URL : http://clio.revues.org/10439
Rapport d’information sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs, présenté par M. Michel MÉNARD et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2013. http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1236.pdf
“Les jolies colonies de vacances, c’est fini ?” Article de Magalie Bacou et Yves Raibaud publié sur le journal du CNRS, le 1er juillet 2016. https://lejournal.cnrs.fr/billets/les-jolies-colonies-de-vacances-cest-fini
“Bon vent les enfants ! Vive les colonies de vacances.” Un film documentaire de Laurie-Anne Courson. Coproduction Aligal Production. Diffusée sur France 3 Bretagne en avril 2016.
« L’âge d’or des colonies de vacances », article de Thomas Wieder publié le 23 juillet 2009 sur lemonde.fr. http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/07/23/histoire-des-colonies-de-vacances-de-1880-a-nos-jours_1221899_3260.html
« Les colonies de vacances ont bien changé », article de Nina Almberg publié le 1er août 2015 sur Slate.fr. http://www.slate.fr/story/104964/colonies-de-vacances-ont-bien-change
“Il était une fois, les colos. Histoire et évolution des colos“, d’après les travaux de Jean Houssaye et les contributions du site Web “Rétro-Colo”, par Eric OBON le 17 novembre 2016. https://prezi.com/0xz9vcxglut8/il-etait-une-fois-les-colos/