Le projet Evasoleil repose sur 3 piliers pédagogiques. L’un d’eux est ce que nous appelons « l’individualisation ».
La pédagogie différenciée, ou l’individualisation est étroitement liée à la relation entre l’enfant et l’animateur. Les questions de posture, de référence (et double-référence comme nous l’appelons à Evasoleil), d’autorité, de proximité, de confiance sont des questions que tous les animateurs se posent continuellement, à Evasoleil comme ailleurs.
Sur le modèle de l’article « S’émanciper de la pédagogie par objectif » construit avec des témoignages croisés, j’ai voulu interroger 3 animateurs et directeurs d’Evasoleil, parallèlement et sans inter-concertation, sur les 3 mêmes questions.
Pour cela, j’ai sollicité :
- Sabine Potdevin, élue au conseil d’administration d’Evasoleil, plusieurs fois adjointe et directrice des colos Evasoleil, formatrice BAFA
- Hakan Yasar, animateur des 16-17 ans en 2018 et directeur adjoint 2019 du séjour à Montalivet d’Evasoleil. Animateur de colos pour plusieurs organisateurs.
- Sylvain Stienon, co-fondateur et directeur d’Evasoleil. Animateur social.
Question 1 : Quelle est la posture idéale dans un groupe pour un animateur, selon toi ?
Hakan : “Je ne sais pas s’il y a vraiment une posture idéale dans un groupe pour un animateur. Mais ma posture doit permettre au groupe de bien vivre, que ce soit pour les enfants ou pour les animateurs. Car une mauvaise posture peut aussi mettre en difficulté nos collègues. Il faut être suffisamment proche du groupe de jeunes pour ne pas créer une hiérarchie avec eux. Les jeunes ont l’habitude de se retrouver dans une situation avec une hiérarchie (adultes/ enfants) au quotidien, que ce soit à l’école, au foyer, à la maison. Donc quand je suis dans un groupe en tant qu’animateur, je dois adopter une posture d’adulte à adulte pour créer les meilleurs liens et pour la bonne vie du groupe.”
Sabine : “L’animateur idéal pour moi doit être à l’écoute, être doté d’empathie. Il doit faire attention à lui-même (gestion de sa fatigue) pour pouvoir naturellement être attentif aux autres. Il doit faire partie du groupe. Il est disponible et doit savoir observer le groupe et être capable d’analyser les situations avec objectivité. Il doit faciliter les rencontres et permettre au groupe de s’organiser sans faire à sa place.”
Sylvain : “L’animateur fait partie du groupe, sa place d’adulte est reconnue de fait et je ne pense pas qu’il doive incarner un rôle particulier, ni viser l’infaillibilité (souvent recherchée).
Il doit assumer sa personnalité, ses doutes, ses faiblesses et les domaines où il est plus confiant. L’animateur est un humain (de plus) disponible, attentif et aidant, autant qu’il le peut. Il apporte ce qu’il est, ce qu’il croit, la partie de lui qu’il veut bien partager.”
Question 2 : Qu’est qu’une bonne relation animateur-jeune ?
Sabine : “Une bonne relation est toujours, selon moi, basée sur le respect, l’écoute et la compréhension. Il faut être soi-même, être vrai.e sans jouer un rôle. Ne pas avoir peur de donner un peu de soi à l’autre. Il faut aussi savoir dire « non » et expliquer ce « non » lorsque cela arrive. Il faut dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Considérer le jeune comme une personne et non comme quelqu’un que l’on met en position d’infériorité. Une bonne relation animateur-jeune c’est de la vérité à tout instant.”
Hakan : “Pour avoir une bonne relation animateur-jeune, je pense qu’il faut créer un maximum de liens avec le jeune. Dans mes expériences, je travaille à instaurer une relation de confiance. J’écoute le jeune, je l’entends, je discute avec lui, je m’intéresse à lui pour lui montrer que je suis là et qu’il peut compter sur moi. De là, le jeune va se confier de plus en plus parce qu’il va me faire confiance. Grâce au lien créé, le jeune va aussi s’intéresser à moi et être aussi à l’écoute.”
Sylvain : “C’est une relation humaine, dénuée de stratégie, où l’animateur nourrit son intention par le projet du séjour, par son empathie ainsi que par le respect de la personnalité et de l’histoire du jeune.
De fait, un animateur à l’écoute parle moins… Il cherche à connaître, apprécier, révéler, créer des possibles pour le jeune. Selon la colo, l’équipe peut avoir besoin de créer des liens de confiance personnalisés.”
Question 3 : Nous lisons beaucoup dans les écrits d’Evasoleil les notions de « référence », de « double référence »… Peux-tu me décrire ce que toi, tu entends par là ?
Sylvain : “La colo se pose en rupture des repères habituels de vie de l’enfant. Pour apaiser, rassurer, il est essentiel dès les premières minutes qu’il puisse repérer un adulte accessible, disponible, à l’écoute et aidant. C’est le « référent » à Evasoleil. C’est aussi l’animateur de chambre, le premier qui, au quotidien, pose une attention particulière, écoute et prend soin. La référence est une affaire de présence, qui passe aussi par des actes très concrets comme l’aide à la lessive par exemple.
Pour certains jeunes, la séparation, le groupe, les autres, l’histoire de vie, sont des écueils. Quand une fragilité se révèle (introversion, extraversion, agressivité, insociabilité, tristesse, etc.), le référent sollicite un autre adulte, parfois un autre mineur, pour mieux « accompagner » : c’est la double-référence. On croise les regards, les écoutes, on multiplie les confiances, l’empathie, on facilite. Le deuxième référent travaille en complément du premier (parfois le soulage) en partageant ses propres moments avec le jeune (tour à vélo, préparation d’une activité, etc.).
Les références sont des attentions, des liens privés, du partage humain. Pour partager, il faut être deux. Je ne vois pas plus grand intérêt à l’animation que la relation réciproque, celle où on ne triche pas, où on donne de sa personne, où on échange des bouts de soi.”
Hakan : “La référence permet de connaître chaque enfant de sa chambre, mais aussi que chaque enfant se sente bien tout au long du séjour. Un animateur va donc passer plus de temps avec les jeunes dont il est référent pour les écouter et apprendre à les connaître. Cette référence va donc permettre de créer des liens avec chaque enfant et va être un élément majeur pour la vie du groupe. Si l’équipe remarque qu’un enfant n’est pas bien intégré ou pause problème dans le groupe pour X ou Y raisons, alors elle mettra en place un deuxième référent qui lui aussi va passer beaucoup de temps avec l’enfant et va faire en sorte qu’il se sente bien dans la colo et que le groupe vive bien.”
Sabine : “De fait, tous les enfants et jeunes ont une référence dès lors qu’ils participent à notre séjour. Cette référence permet de rassurer, de connaître, de créer une relation… Cette relation permet la mise en relation en chaîne avec le reste du groupe. On peut parfois voir que naturellement un enfant va être la référence d’un autre enfant pour l’aider à se sentir lui durant ses vacances. La double référence permettra de mettre en réussite plus rapidement un enfant/jeune qui en a besoin de faire partie du groupe dans lequel il vit et de s’y sentir en sécurité et en étant lui-même. La double référence, c’est avoir un autre regard, un autre repère, une double attention.”