Jean-Michel Bocquet est l’auteur de ce texte. Pédagogue, directeur associatif et chargé de cours à l’université Paris Nord Sorbonne, il travaille sur et avec les pédagogies de la décision, forme de pédagogies du care.
Il milite pour que les colonies de vacances pour les enfants (re)deviennent une politique publique d’envergure, qu’elles permettent de construire les citoyen.nes émancipé.es d’aujourd’hui.
La colonie de vacances est un déplacement en groupe hors du milieu familial d’enfants vers un endroit où ces enfants vivront et joueront collectivement.
Il est de coutume de dire que les premières colonies de vacances ont été inventées à la fin du XIXe siècle. Les pasteurs, philanthropes, médecins, hommes ou femmes ont développés les colos avec en tête l’idée que le déplacement des enfants permettrait aux enfants d’être en meilleure santé : aération, cure de soleil ou bain de siège. Se déplacer permettait de quitter les villes polluées et sales pour se rendre dans la nature où celle-ci apporterait des bienfaits.
Si dans un premier temps, cette finalité sanitaire a justifié du déplacement, très rapidement s’est ajoutée une finalité sociale. Il s’agissait d’apprendre aux enfants et par la nature, les bonnes valeurs et morales de la France rurale : on déplaçait les enfants pour les coloniser, leur faire vivre un temps collectif loin des parents pensés et construit par d’autres adultes.
Progressivement les colos deviennent éducatives, cette idée du déplacement et de la rupture avec le milieu familial devient ultra-majoritaire chez les organisateurs de colos : il faut construire le citoyen de demain, le chrétien ou le communiste de demain, il faut faire vivre aux enfants des expériences de vie collective parce que c’est bon et ça apprend…
Si ces finalités sanitaires, sociales puis éducatives semblent datées voire révolues, notamment au regard du développement de la société du loisir et du tourisme, pourquoi alors continuer à déplacer les enfants aujourd’hui ?
Déplacer les enfants pour les éduquer, vraiment daté ?
A regarder de près les catalogues en ligne de colos des organisateurs, on ne peut pas dire que ce qui est vendu (à coût réel ou à coût adapté comme pour les communes) soit l’idée que partir en colo permettra à son enfant de se construire comme citoyen de demain, on ne retrouve pas de référence à des courants idéologiques, on ne voit pas d’objectifs sanitaires. Dans les catalogues, on y trouve des thèmes (Harry Potter, nature, parc d’attraction, etc.), des activités (ski, équitation, couture, etc.), des lieux (mer, campagne ou montagne), des destinations (station de sports d’hiver, Dubaï, USA, etc.) et des explications sur le cadre, l’organisation. On lit dans les annexes des conditions générales de vente, des labellisations, des agréments et des règlements intérieurs pour garantir le bon accueil et la sécurité des enfants participants.
Même s’ils sont obligatoires, les projets éducatifs et pédagogiques sont difficilement trouvables voire même complètement inexistants. Les colos sont des produits du commerce.
Le déplacement est utilisé uniquement pour permettre de découvrir ou de faire une activité sportive ou de loisir, pour aller chercher le soleil ou un site particulier. Il semble alors évident que le déplacement n’est plus éducatif.
Cette impression laissée par les catalogues de vente est-elle réelle ?
D’un point de vue légale, chaque organisateur de colo doit avoir des projets éducatifs et pédagogiques.
D’un point de vue des politiques publiques, les colos sont toujours des activités éducatives. Les colos apprenantes de Jean-Michel Blanquer en témoignent, mais aussi et surtout le séjour de cohésion du service national universel est un exemple remarquable de ce qu’une colonie d’état peut mettre en œuvre. Il s’agit de déplacer des jeunes pour leur permettre de se rencontrer et de vivre, coupé de leurs parents, un temps de cohésion de groupe autour des valeurs de la république. La force de ce projet ne tient que par l’illusion groupale qui produit déplacement et vie collective sur un temps court (13 jours).
D’un point de vue du développement touristique, les colos sont et resteront des outils puissants. L’UCPA n’a-t-elle pas été créée en 1965 comme un outil pour promouvoir les activités sportives de plein air, développer les bases de loisirs et permettre un accès « démocratisé » au ski, aux activités nautiques ? Récemment dans le plan Montagne de la région Auvergne Rhône Alpes, le président Wauquiez n’oublie pas de débloquer des aides à la pierre pour les colos. Si les enfants vont au ski enfants, ils deviendront par la suite les prochains consommateurs de vacances à la neige.
Que dire des séjours linguistiques, des stages sportifs (foot, équitation, etc.) mais aussi des colos développement durable, des colos construites sur des bases de développement personnel, des camps scouts. Il existe toujours aujourd’hui des colos à vocations religieuses ou idéologiques. On lira même, ici et là, qu’il faudrait imposer aux enfants de partir en colo pour les obliger à apprendre les bonnes règles du vivre-ensemble : le déplacement comme obligation éducative.
Bref, déplacer pour éduquer est encore l’idée majeure permettant de faire et de justifier de l’existence des colos. Chez les organisateurs, directeurices ou animateurices, on défend toujours et avec force que couper avec la famille est nécessaire. On le remarque particulièrement dans l’idée qu’il faut réguler les appels aux familles et la possession des téléphones portables durant les colos.
On vend du tourisme ou de l’activité, mais les organisateurs éduquent.
Les colos éduquent à quoi ? et pourquoi déplacer ?
Pour comprendre au-delà des grands mots écrits dans les projets éducatifs quelles sont les finalités des colos actuelles, il faut regarder les pédagogies mises en place.
Si les organisateurs mettent en avant des idées de l’époque : mixité, laïcité, démocratie, autonomie, développement durable, la première remarque à faire est que ces cinq termes devenus finalités pourraient aussi bien être des moyens permettant de créer une société égale, fraternelle/sororelle et libre. Ce glissement rend confus les raisons pour lesquelles chaque animateur et animatrice travaille.
La seconde remarque est liée au modèle pédagogique que les colos utilisent : le modèle colonial. Définit par J. Houssaye dès les années 80, ce modèle de forme scolaire traditionnelle et descendante s’appuie sur un outil majeur pour exister : la méthodologie de projet. Là où les pédagogies se construisent dans une mise au travail des valeurs/finalités, des savoirs théoriques et d’expériences et des pratiques par les mêmes personnes et dans les mêmes lieux, la méthodologie plaque un pseudo-diagnostic sur un pseudo-public pour atteindre des objectifs pré-écrits par des adultes qui n’ont pas rencontré les personnes avec lesquelles ils sont censés travailler. Le modèle colonial permet de construire de la programmation, de définir des organisations sur la base des besoins de l’enfant, de proposer des jeux et de définir le cadre de vie. Le modèle colonial est l’outil idéal pour produire du séjour clé en main dans une logique commercial et la méthodologie de projet, qui n’est pas un outil pédagogique, mais un outil de gestion industriel, donne l’illusion (via les objectifs éducatifs) que la colo éduque.
Qu’est ce qu’éduquer au développement durable lorsqu’on se déplace en car ou en avion ? qu’on se nourrit avec l’agro-industrie ? qu’on pratique les sports mécaniques ? ou que les bâtiments sont chauffés au fuel ?
Qu’est ce qu’éduquer à la démocratie, aux mixités lorsque les enfants n’ont aucun moyen de décider de ce qui les concernent ? que le prix ou l’activité produit de la séparation pauvres/riches ou garçons/filles ?
Qu’est ce que faire vivre de la laïcité lorsqu’il s’agit d’interdire toute expression de la religieux, tout débat ou pratique ?
Et enfin, pourquoi déplacer les enfants pour leur faire vivre cela ? Qu’est-ce que la colo apporte que le centre de loisirs, l’école ou le club de sport ne crée pas ? Hormis la rupture avec le milieu familial, rien n’est différent et surtout le modèle pédagogique est le même. L’absence de famille crée une incertitude chez l’enfant qui permet aux adultes encadrants d’imposer des règles et des cadres sans aucune discussion possible.
Quelle finalité pour des colos qui déplacent ?
Pour redonner du sens aux colos et les sortir de la dérive touristique justifiée par des pseudo-objectifs éducatifs, nous devons réfléchir à ce qui ne peut se faire en proximité et qui peut justifier que les enfants se déplacent.
Notre société fragmentée et séparée ne permet plus de construire des mixités, construire de la rencontre entre des enfants n’habitant pas dans les mêmes territoires (re)devient un enjeu majeur : permettre les rencontres entre urbains et ruraux, entre habitants d’une banlieue et d’un centre métropole, entre des enfants et des adolescents, entre enfants de l’aide sociale à l’enfance et enfants favorisés, etc…
Construire des lieux où les enfants s’exercent à la démocratie est aussi un enjeu majeur. Ni l’école, ni les clubs sportifs, ni les conservatoires permettent aux enfants de décider de ce qui les concernent. Les colos, en raison des leurs activités de loisirs et de jeux, sont les lieux idéaux pour construire des outils où les enfants peuvent s’exercer et éprouver la démocratie : construire des compromis, décider ensemble, inventer des règles et des cadres de vie, autant de sujets que la colo peut permettre de faire.
Inventer des lieux où la société prend soin des enfants, de tous les enfants. Lorsque les réseaux sociaux, l’école, les foyers de l’enfance, les familles, les quartiers, les clubs sportifs, sont des espaces de concurrences, de compétitions, de classements, de performances et parfois de violences, la colo doit pouvoir devenir un espace de care. Au moins quelques semaines dans l’année, rassembler des enfants dans un lieu où les adultes prennent soin de chacun et particulièrement des plus vulnérables doit être un enjeu majeur de notre société.
En choisissant la rencontre, le care ou la décision comme outil pédagogique plutôt que la méthodologie de projet, le modèle et la forme changeront. Les manières de faire colo seront différentes. Il sera possible faire de la pédagogie, là où aujourd’hui, on produit des activités.
Pour chaque organisateur de colo, chaque directeurice et animateurice, il convient de réfléchir aux finalités qui justifie du déplacement des enfants. Déplacer n’est pas neutre, emmener des enfants loin de leur famille et de leur lieu habituel de vie est une violence au point où les plus vulnérables n’y arrivent pas ou très difficilement.
L’outil pédagogique qu’est le déplacement d’enfant n’a de sens et de force que si les finalités sont claires et parfaitement définies, à défaut la colo sera vécue comme une punition ou un temps subi.
Enfin, si le seul objectif d’une colo est le tourisme ou la consommation d’activité, il conviendrait de sortir de l’ambigüité éducative et définir cette activité comme voyage pour mineurs avec des règles et des obligations différentes de celles des colos.
Pour aller plus loin
- La discussion entre 2 élus de l’association sur la responsabilité des organisateurs de colonie de vacances
- Carole, mère de 2 enfants, nous parle de la difficulté d’organiser les vacances de ses enfants
- L’article d’Aline, éducatrice spécialisée, sur les vacances des enfants placés par l’ASE
- Le point de vue des animateurs sur leur engagement pour le départ des enfants en vacances
Salut! Merci pour cet article très intéressant! Amener les enfants en colonie-de-vacances peut également être une très bonne idée, puisque cela peut les faire grandir sur le point personnel!
Merci Clara !