L’importance de règles claires, cohérentes et justes

Du cadre dans les « pédagogies alternatives » ?

La notion de cadre se comprend parfois mal chez certains animateur·ices qui découvrent notre fonctionnement et notre projet. Ils entendent souvent « pédagogie alternative », « participation de l’enfant » ou « liberté de construire ses vacances » et en déduisent que l’adulte se retire entièrement de la prise de décision. Ils imaginent alors que les enfants vivront en autogestion, sans prendre en compte les règles des adultes. Il arrive même que certain·es animateur·ices rejoignent EvaSoleil dans l’optique de retrouver cet idéal.

Cependant, nous distinguons clairement autonomie et liberté de faire n’importe quoi. Nous différencions aussi retrait et absence de l’animateur·ice, de même que participation de l’enfant et déresponsabilisation de l’adulte. Le cadre n’est pas un compromis qui affaiblit la liberté ou la participation : il constitue plutôt l’un des ingrédients essentiels de notre projet.

Un cadre clair, juste et prévisible porté par une équipe cohérente et bienveillante

Des règles claires et annoncées dès le début

Un « bon » cadre inclut des règles claires, clairement énoncées dès le début du séjour. C’est pourquoi la présentation des règles de vie reste un moment incontournable au démarrage, quelle que soit la forme choisie. Les règles ajoutées en cours de séjour se révèlent souvent plus difficiles à intégrer pour les enfants (et parfois pour les animateur·ices). Il arrive cependant que certaines situations imprévues ou des réajustements exigent de nouvelles règles. Dans ce cas, la façon d’expliquer ces changements importe autant que le changement lui-même. Il est essentiel de prévenir, d’expliquer et d’échanger avec les enfants avant de devoir appliquer la nouvelle consigne.

Des règles justes et une crédibilité préservée

Nous considérons également qu’une règle juste doit s’appliquer de manière équitable, se fonder sur la loi, le droit d’autrui, les besoins de l’enfant, l’organisation du séjour ou une décision collective. Les enfants, particulièrement sensible à l’injustice, remarquent rapidement si un adulte ne respecte pas lui-même ce qu’il impose, si la règle varie au gré de l’humeur ou si elle leur paraît insensée. Dans ce cas, l’adulte perd peu à peu sa crédibilité, et la relation risque de se résumer à un rapport de force.

Maintenir la cohérence et la prévisibilité

En outre, la règle doit s’annoncer de façon prévisible. L’enfant doit savoir à quoi s’attendre pour que l’adulte puisse maintenir son cap au moment de la faire respecter. Quand une règle surgit sans prévenir, elle s’apparente davantage à un exercice arbitraire du pouvoir qu’à une véritable consigne cohérente.

Dans un système où les règles claires sont justes et portées unanimement par l’équipe, l’enfant peut expérimenter en sécurité. On comprend ainsi la phrase « on ne se contredit pas entre anims devant un enfant » : cette consigne vise à garder une cohérence de groupe, et non à instaurer une complicité adulte contre enfant. L’équipe doit discuter et valider les règles ensemble pour les appliquer de manière uniforme. Si une seule personne porte le cadre, elle deviendra l’« anim relou » ou bien, en son absence, personne ne sera capable de le faire respecter.

La bienveillance pour accompagner les émotions

La dernière condition pour que cela fonctionne reste la bienveillance. Nous pouvons poser des limites sans crier, et dire « non » n’empêche pas d’accueillir les émotions de l’enfant. Il a le droit d’être en colère ou frustré, et de se tromper. Lorsqu’un enfant fugue, nous ne le punissons pas d’être revenu : nous l’accueillons avec soulagement. En parallèle, il nous revient de lui rappeler que l’expression des émotions doit se faire dans le respect des pairs, de l’adulte et de soi.

C’est le rôle de l’animateur·ice d’aider l’enfant à comprendre ses émotions, à les canaliser si nécessaire et à reconnaître ses erreurs. L’adulte a aussi le droit à l’erreur, peut douter, et parfois ne pas savoir comment réagir. Présenter des excuses, expliquer sa fatigue ou s’excuser en cas d’injustice signifie admettre son humanité et décharger l’enfant d’une responsabilité qui ne lui incombe pas.

Le non négociable, l’exception, le compromis et la participation

Définir les « non négociables »

Une fois ce cadre présenté et installé, il remplit son rôle de repère sécurisant. Nous pouvons alors envisager certains compromis, exceptions et éventuelles réécritures de règles avec les jeunes. Avant tout, l’équipe détermine les quelques règles « non négociables », annoncées comme telles. Ces règles concernent, par exemple, la mise en danger de soi ou d’autrui, le non-respect, la violence ou l’illégalité. Elles relèvent souvent de la loi ou des consignes de la direction, et les animateur·ices n’ont pas la main dessus. Cela les libère, car ils peuvent ainsi travailler dans l’espace de la relation plutôt que de négocier l’inflexible.

L’exception, un outil éducatif

La l’exception prend tout son sens lorsque chacun connaît déjà la règle habituelle. Si nous choisissons de la remplacer temporairement, nous établissons un contrat de confiance avec le ou les jeunes. Le fait de créer cette exception, limitée dans le temps et validée par toutes les personnes concernées, souligne l’importance de la règle initiale. Quand le cadre n’est pas clair ou peu respecté, l’exception devient un signe de fragilité. À l’inverse, si elle est bien introduite, elle constitue un formidable outil éducatif pour renforcer la relation de confiance entre les jeunes et l’équipe.



À EvaSoleil, comme dans bien d’autres séjours, la dernière soirée (la « boom ») fait traditionnellement figure d’exception à la règle du coucher. Cette soirée marque la fin du séjour. Après l’avoir vécue à maintes reprises, nous observons qu’elle reflète la manière dont la règle du coucher a été respectée durant toute la semaine. De longues négociations de dernière minute traduisent souvent une règle mal comprise et peu respectée en amont, ou une heure de coucher spéciale qui n’a pas été clairement préparée.

La co-construction des règles avec les jeunes

Nous arrivons enfin à la co-construction des règles avec les jeunes. Construire un certain nombre de règles collectives avec eux garantit une cohérence et une légitimité naturelle. C’est aussi un excellent moyen de former de jeunes citoyens conscients de la difficulté de se mettre d’accord et de l’importance du respect de l’autre. À EvaSoleil, plusieurs règles d’organisation (rangement, débarrassage des tables, partage de biens communs, etc.) sont imaginées par les jeunes, puis réévaluées et ajustées au fil de l’été. L’essentiel n’est pas tant la règle elle-même que le processus qui la rend légitime. Pour éviter toute illusion de participation, L’espace de liberté négociable est clairement défini en amont, ce qui encourage les jeunes à s’engager dans ce « jeu démocratique ».