Un sujet d’article difficile : Qu’est-ce qu’un directeur dans une équipe d’animation ? La question est tellement omniprésente dans les formations de directeurs et leurs expériences qu’il nous semblait pertinent de l’aborder sur Expression Libre. Mais comment ? C’est un sujet à la fois personnel, presque intime… Alors nous avons fait le choix d’en discuter, librement, à travers un échange d’idées.
Aline, coordinatrice pédagogique à temps complet et directrice volontaire de séjours à Evasoleil ;
Sabine, élue du Conseil d’Administration d’Evasoleil et directrice de séjours Evasoleil ;
Sylvain, directeur d’Evasoleil et de séjours Evasoleil
participent à cet échange de points de vue qui n’a pas la prétention d’exposer une vérité universelle.
Sylvain :
Je cherchais une citation avec le mot “direction” ou “diriger” mais y a rien qui me plait vraiment, surtout s’il s’agit d’ACM. T’en connais une toi ? Ou un principe qui tiendrait en une phrase ?
Aline :
J’ai cherché moi aussi, et je suis tombée sur celle-ci : “Un capitaine qui ne maîtrise pas les caprices de la mer ne maîtrise pas le navire.” Qu’en penses-tu ?
Sylvain :
Je ne suis pas convaincu… Ou alors je ne la comprends pas comme il le faudrait. Je crois qu’il n’y a pas vraiment de capitaine dans le navire ACM. Ou alors il n’y a que des capitaines. Je crois que le directeur n’a aucune idée de la mer qu’il va traverser, et que c’est très bien comme ça.
Aline :
Eh bien justement, qui peut aujourd’hui prétendre être capable de maîtriser la mer ? Ses marées, qui dépendent de la lune, ses courants, ses vagues, le vent, les différents obstacles… seul c’est impossible. Les facteurs sont parfois imprévisibles, en mer comme en ACM, et il faut s’adapter, travailler ensemble, parfois faire front à l’unisson pour braver la tempête. Sans son équipage, un capitaine ne fait pas grand chose, c’est pareil pour un directeur et son équipe.
Sylvain :
Je partage ta vision du “travailler ensemble” et à la fois que le directeur a une place bien particulière dans le groupe. Ne serait-ce pas plutôt une sorte de “vigie” ? Tu sais, le pirate qui regarde la mer depuis le haut du mât. Un marin parmi les autres avec un point de vue singulier. Le directeur d’un centre aurait alors pour mission de prendre de la hauteur, d’anticiper, d’observer pour mieux aider, de garder le cap, autant que possible… C’est la question de la décision que le capitaine confisque pour lui tout seul qui m’embête un peu.
Aline :
J’aime beaucoup l’idée de la vigie, mais il ne faudrait pas que ça enferme le directeur comme seul responsable d’anticiper et de rester attentif à ce qui se passe autour. L’équipe d’animation aussi doit prendre du recul, pour s’adapter au public, au territoire, et pour questionner ses postures et ses actions.
Sylvain :
Ah oui. Tu as raison. Mais alors cette place singulière sur le bateau doit bien servir à quelque chose (qu’elle soit à la barre ou sur le mât)… Y a-t-il quelque chose que le directeur soit le seul à pouvoir faire, car il est le mieux placé ? À quoi et à qui sert-il ?
Aline :
Est-ce que le directeur est une bouée de sauvetage aussi, ou un phare qui permet de garder le cap ? Non, pas un phare, il n’est pas le seul à détenir la lumière et à pouvoir guider, mais il amène à se questionner, il crée les contextes qui permettent à l’équipe d’animation de trouver les réponses par elle-même. Finalement, est-ce qu’un directeur n’a pas un peu le même rôle qu’un animateur, mais avec un public différent ?
Sylvain :
Ca, c’est forcément lié à la représentation du rôle de l’animateur qu’a chacun, non ? Si le directeur amène d’autres questions et propose d’autres angles de vue au collectif, alors, je crois qu’il ne lui reste plus qu’à savoir partager les décisions avec celles et ceux qui les concernent. Enfin je crois. Avec cette définition de l’animateur, je suis d’accord avec ton hypothèse.
Sabine :
J’aime beaucoup l’idée imagée de la “capitainerie” et de la vigie surtout, ça me fait penser que, pour moi, un directeur ce serait plutôt l’architecte du navire-projet. Le plan de ce navire-projet lui est confié par l’organisateur, son rôle est donc d’accompagner l’équipage à une mise à l’eau en toute sécurité. Chaque membre doit être rassuré, monter à bord en confiance, avec son mécanisme humain singulier qu’il mettra au bénéfice de l’équipage tout au long du voyage.
Sylvain :
Si le directeur est l’architecte, avant de larguer les amarres, les animateurs participent aussi à la construction du voilier (car ça y est, j’ai choisi notre navire). Le directeur écoute, tient compte de tout, synthétise, fait preuve d’empathie avec chacun, met en lien toutes les idées, les motivations, les volontés. C’est sûrement lui qui donne la couleur des relations, des possibles entre les personnes. Car peut-être que la clé d’une bonne traversée se trouve sur le quai, avant de partir. Peut-être que le plus important dans un projet, une aventure, qu’on la nomme “colo” ou “transatlantique”, n’est pas les idées, les choix, mais les personnes et la force qui les rassemble ?
Sabine :
Oui c’est ça, le directeur détient des clés et il en partage. Cela permet à chacun de faire fonctionner le mécanisme du navire dont il est l’expert, tout en ayant connaissance du fonctionnement de l’ensemble des dispositifs. Le directeur permet à chacun d’être, avec aisance et confiance, dans son domaine d’expertise. Le directeur sait que durant le voyage, il y aura probablement des intempéries, il le sait. Il les anticipe tout le temps pour garantir à son équipage d’être suffisamment ancré pour les éviter, en tout cas, pour les traverser avec assurance.
Aline :
Le directeur garde ainsi à l’esprit que l’équipage est constitué d’humains, tous sujets à la fatigue, aux aléas qui donnent à chaque voyage une saveur unique, enrichissante. Son rôle est de rester en état d’hyper-vigilance ; cette prise de hauteur lui permet de garder une vision globale : il doit savoir où sont les nœuds, si le pont est glissant, si des dérives peuvent survenir, si le navire-projet bifurque de sa trajectoire, si c’est grave. Et s’il observe et constate qu’il faut prévenir, il réfléchit ses interventions les moins déstabilisantes possibles et met son équipe en situation de réussite autonome, autant que faire se peut.
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Agréable de lire des humains et leurs pensées naviguer collectivement
Merci Cyril !