Les droits de l’enfant ? De quoi on parle ?
Quand on parle de Droits de l’Enfant, on évoque généralement un texte qui les structure et les protège : la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Ce texte fait partie du droit international et a été ratifié par 196 pays dans le monde. Il garantit aux enfants une enfance digne et épanouie, et ce quel que soit le pays où les enfants se trouvent. Ce texte n’est ni une utopie ni un idéal à atteindre, c’est un texte contraignant juridiquement qui exige des états l’ayant ratifié de faire respecter les droits fondamentaux des enfants dans leur pays et de tout mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions.
Pourtant, malgré l’article 42 de la CIDE qui précise que les états doivent faire diffuser et informer sur les Droits des Enfants, ce texte est très largement méconnu des enfants mais également des adultes. En effet, c’est seulement entre 32 et 58% des adultes et 1 jeune de 15 à 18 ans sur 10 qui ont déjà entendu parler de la CIDE en France. C’est d’autant plus problématique que les Droits des Enfants sont encore loin d’être entièrement respectés dans les pays qui ont ratifiés la charte, y compris en France.
Mais les Droits de l’Enfant ce n’est pas seulement le sujet de l’ONU et des nations, c’est surtout le sujet de tous ; des enfants eux-mêmes, des familles, des élus, des associations, des professeurs, des travailleurs sociaux, des directeurs de structures et bien entendu, on y vient : des animateurs.
En quoi l’animation est-elle liée aux droits de l’enfant ?
En premier lieu, et bien que cela semble évident : parce que les acteurs de l’animation travaillent auprès d’enfants.
Cela implique beaucoup plus qu’on ne le pense. Car les droits de l’enfant ce n’est pas seulement le droit à une identité, à des liens familiaux, à l’éducation, à un toit ou à l’accès aux soins… c’est aussi un certain nombre de droits en lien direct avec le quotidien en centre de loisir, en colo, en centre social
Quelques exemples :
- Article 2 : Un enfant a le droit à l’égalité de traitement et d’être protégé contre les discriminations
- Article 12 : Un enfant a le droit de donner son opinion sur toute question qui le concerne et d’être entendu
- Article 13 : Un enfant a le droit d’exprimer son avis, ses idées, d’obtenir des informations et d’en transmettre
- Article 16 : Un enfant a le droit d’être protégé contre les atteintes à sa vie privée
- Article 19 : Un enfant a le droit d’être protégé contre toutes formes de mauvais traitements
- Article 23 : Un enfant en situation de handicap a le droit à une éducation et des soins appropriés pour vivre dans la dignité avec le plus haut degré d’autonomie et d’intégration sociale possible
Et certainement l’article le plus à propos :
- Article 31 : Un enfant a le droit aux loisirs, au jeu et à la participation à des activités culturelles et artistiques
Il est fort à parier que la lecture de ces articles parlera aux lecteurs qui sont animateurs et qui peuvent reconnaître ces notions dans leur quotidien professionnel ou bénévole. Il est également fort à parier que ces animateurs défendent déjà, peut être sans le savoir, tout ou partie de ces droits dans leur pratique.
Ainsi sensibiliser des adolescents à la vie affective et sexuelle, lors d’un jeu ou au détour d’une conversation, c’est faire respecter l’article 24. Mettre en place une médiation lorsque l’un des enfants est mis à l’écart en raison de sa religion c’est respecter l’article 14. Animer un débat sur l’égalité homme-femme, c’est participer à faire respecter l’article 2.
Les animateurs ne nous ont pas attendus pour défendre les droits des enfants dans leur pratique. Mais il est dommage que cette pratique quotidienne, cette accumulation d’expériences, ces droits défendus ne soient pas plus souvent connectés aux textes qui les énoncent.
Car si nombre de droits sont respectés et défendus, il existe beaucoup de situations dans lesquelles ce n’est pas le cas.
- Un enfant allophone mis à l’écart par le groupe ?
- Un enfant en situation de handicap sans accompagnement approprié, voire non accepté dans le centre de loisirs ?
- Des familles en situation de précarité qui ne peuvent pas inscrire leur enfant faute de moyens ou d’aides ?
- Un programme d’activité étouffant qui ne laisse aucune place à la participation des enfants ?
- Un enfant victime de violences à la maison ?
Autant de situations qui existent, persistent et qui, souvent, ne sont pas considérées comme des infractions aux Droits de l’Enfant. En prendre conscience, ce n’est pas seulement une nécessité pour répondre à la CIDE, mais aussi un outil formidable pour pointer ce qui ne va pas et le faire évoluer.
En tant qu’animateurs, qu’éducateurs et éducatrices au contact d’enfants nous avons un rôle à jouer.
Animer les droits de l’enfant, c’est un acte militant pour faire évoluer la situation vers des droits de l’enfant qui soient respectés à l’échelle nationale. Et à une échelle plus modeste, parler des droits de l’enfant, c’est faire prendre conscience à certaines personnes de votre public que la situation dans laquelle elles se trouvent n’est pas normale, ni acceptable, et ce même devant la loi.
Animer les Droits de l’Enfant : les préjugés qui empêchent de se lancer
Respecter les droits de l’enfant dans sa pratique c’est bien mais on peut aller encore plus loin en travaillant à les diffuser, à faire connaître aux familles et aux enfants leurs droits, à leur permettre de se les approprier voire de les défendre. C’est ce qu’on entend par « Animer les Droits de l’Enfant ».
Pourtant, les animateurs rechignent souvent à s’approprier le sujet, jugé trop rébarbatif ou compliqué.
On trouve d’ailleurs peu de ressources sur le sujet, là où les sites regorgent d’activités toutes faites sur Harry Potter, les pirates ou les animaux de la ferme…
La plupart des outils en ligne a été développé par des professeurs et adaptés au cadre de la classe. Et lorsqu’on s’intéresse au sujet, cherchant des idées pour construire une animation ou un projet, cela peut être décourageant de ne tomber que sur un énième « jeu de l’oie spécial Droits de l’Enfant pour classe de CM2 ».
« Le Droit, c’est trop compliqué »
Le mot “Droit” peut effrayer. C’est que ce mot est souvent associé aux « devoirs » et donc aux inévitables règles de vies. Ce qui peut en faire un sujet rébarbatif par excellence. Surtout s’il ne s’agit que d’une suite d’interdictions fixées à l’avance par les adultes et que les enfants sont contraints de respecter, voire de signer (comme s’ils avaient le choix). Car si les droits existent, les « devoirs » ne sont que pure fiction. Il est effectivement interdit de faire du mal à l’autre mais ce n’est pas respecter une interdiction que de s’en abstenir : c’est respecter le droit de l’autre d’être protégé de la violence.
Ainsi, construire les règles de vie se fait au service d’un apprentissage citoyen et du respect de l’autre. Sous cet angle, le temps de construction des règles de vie peut devenir un formidable outil pédagogique au service du vivre ensemble. On approche alors le droit par une porte beaucoup plus concrète.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de devenir juriste pour aborder ce sujet. Quelques recherches sur l’histoire de la CIDE et son contenu sont amplement suffisants pour amener aux enfants la question. Nous avons d’ailleurs proposés plus bas des ressources qui pourront aider les animateurs qui ne savent pas par où commencer.
« C’est un sujet trop ennuyeux, ça ne va pas marcher »
Comme abordé plus haut, les Droits de l’Enfant sont connectés à une multitude de situations que les enfants traversent et que les animateurs accompagnent de leur mieux. Bien entendu, la lecture d’un texte de droit n’est pas toujours ce qu’il y a de plus passionnant, pour les adultes comme pour les enfants. Tout le monde a besoin de tangible, d’émotions, de sens, de s’identifier, de se projeter pour s’intéresser.
Mais qui a dit qu’il fallait aborder la CIDE comme un cours ou un atelier de sensibilisation ?
Cette richesse de situations individuelles devrait au contraire nous amener à considérer les Droits de l’Enfant comme un formidable terrain de jeu pédagogique. Égalité homme-femme, harcèlement, réseaux sociaux et vie privée, école et avenir, handicap, différences et discriminations, inégalités sociales… autant de thématiques qui peuvent être abordées avec les enfants au gré de leurs questionnements tout en les reliant avec leurs droits, grâce à ces droits.
Tout animateur qui a déjà participé avec des enfants à un débat spontané le sait : les enfants ont soif de comprendre, de se faire leur idée, d’apprendre, de donner son avis. Le sujet n’est donc pas ennuyeux, c’est la démarche pédagogique qui peut l’être.
Peut-être faut-il prendre le problème à l’envers : ne pas voir les Droits de l’Enfant comme une contrainte, un devoir civique mais comme un formidable outil d’animation. Il faut y voir des occasions de prendre de la hauteur avec les enfants, parler de sujets de fonds, de s’échapper un temps pour produire ensemble du sens. Prendre ensemble conscience d’une inégalité, d’une injustice permet de faire naître un groupe plus solidaire, plus empathique. Un enfant conscient de ses droits mais aussi de ceux des autres s’affirme comme un sujet politique. Les enfants se sentent alors concernés par ce qui leur arrive, par ce qui les entoure, par la société et ce qui s’y passe.
Nous ne sommes plus dans la transmission d’un savoir (la CIDE, ses
articles, son histoire) mais dans la mise en mots d’une expérience et dans la construction collective d’un savoir (« j’observe une inégalité, ce n’est pas normal, cet autre ne devrait pas avoir à vivre ça. D’ailleurs tel article de la CIDE le dit »). Il s’agit alors de chercher des moyens d’animer cette intention et nous voilà dans l’animation véritable, dans l’éducation populaire.
C’est tout le sel de l’animation : comment je rends ça intéressant ? Comment je mets ça en vie ? Comment j’anime ? Tout simplement.
Et maintenant ? Comment je me lance ?
Il n’y a pas de méthode toute faite : un journal rédigé par les enfants ; une exposition de peinture où chaque enfant a choisi un droit à représenter ; un conseil de jeunes hebdomadaire ; une action solidaire choisie et menée par un groupe d’ados ; permettre aux enfants de participer à la prochaine consultation nationale des 6-18 ans de l’UNICEF. Toutes ces idées sont possibles.
Que le projet commence petit ou soit tout de suite très ambitieux, nous pensons que ce qui compte c’est de se ménager : ouvrir des portes plutôt que de construire un mur devant soi. D’abord regarder autour : quels sont les moyens humains et matériels ? Quelles sont les contraintes ? Et surtout : quelles sont les envies ? Les nôtres et celle de ceux qui nous accompagnent (enfants comme adultes). Se lancer sur un projet auquel on ne croit pas ou qui ne nous plaît pas, c’est le meilleur moyen de se planter avant même d’avoir commencé. Il faut y mettre du sens, en être collectivement convaincu et se diriger avec cette boussole.
Attention aussi au risque d’instrumentalisation des enfants ; C’est une pente plus glissante qu’on ne le croit. Si on demande à chaque enfant de dessiner un droit en lui indiquant lequel et comment, puis qu’on affiche tous ces beaux dessins, on émeut certainement quelques secondes les adultes qui poseront leur regard dessus mais a-t-on vraiment respecté le droit des enfants à être informé sur les sujets qui les concernent ? Le droit à la participation ? Ne rentre-on pas dans de l’instrumentalisation voire de la manipulation ? La démarche est souvent plus importante et significative que la réalisation.
Maintenant ce qui compte c’est surtout de se lancer, de se questionner en équipe et seul sur ce qu’on met en place, d’impliquer autant que possible les enfants, de se faire plaisir en le faisant ! Quoi qu’il arrive, il n’y a pas mieux que le terrain pour apprendre, tester, échouer, recommencer, faire des trucs cools, et surtout agir auprès et avec des jeunes.
écrit par Théodore et Antoine en novembre 2024
Ressources pour aller plus loin :
Se former Rapidement aux Droits de l’Enfant
La CIDE et son Histoire expliquée rapidement (Éducation Action)
La version simplifiée de la CIDE
Pour approfondir
Approfondir le fonctionnement et l’Histoire de la CIDE (Amnesty International)
Un module de l’UNICEF pour se former à la CIDE
Un dossier complet sur la situation des Droits de l’Enfant en France en 2017 (Evasoleil)
La situation en chiffres des Droits de l’Enfant en France en 2024 (Evasoleil)
Quelques exemples de projets
CIDEing for change 2016 … et la vidéo produite par les jeunes (Evasoleil
Une animatrice Droits de l’Enfant sur une colo : ça donne quoi ? (Evasoleil)
Quelques ressources pour animer les Droits de l’Enfant
Comment animer les Droits de l’Enfant auprès d’un public Enfant ? (Evasoleil)
Recommandations pour inclure les droits de l’enfant dans l’animation socio-culturelle enfance et jeunesse suisse
Evasoleil a mené un temps de formation à Garges-lès-Gonesse (95) auprès des équipes d’animation du service Enfance. Nous avons créé ce fichier à cette occasion : Télécharger le dossier.
Livret téléchargeable “Tous les Enfants ont des droits” (Bayard)
Vidéo “comprendre les Droits de l’Enfant avec Nota Bene” (Amnesty International)
Participer à la consultation nationale des 6-18 ans d’UNICEF